Notre prénom nous colle tellement à la peau qu'il nous porte autant que nous le portons. Par quelle alchimie quelques lettres peuvent-elles nous définir et tracer notre destin ?
Quelle aurait été votre vie si vous vous étiez appelé Karim plutôt que Louis, Johnny plutôt que Charles-André, Cunégonde plutôt que Carla ? Notre prénom nous caractérise, il est notre carte de visite. D’un prénom à l’autre, au gré des connotations sociales et culturelles, le regard change, imaginaire aussi. « Pas toujours évident de s’appeler Moise ou Adam sans se sentir porteur d’une injonction d’accomplissement ! », note par exemple la numérologue Françoise Since.
Mais le prénom n’est pas qu’une étymologie ou une sémantique.
« Il est une musique, estime l’alchimiste Patrick Burensteinas, dont les notes sont les lettres qui le composent. » Chacune a son importance, toutes ont une valeur et un sens. « Les lettres de l‘alphabet sont des dessins, des schémas, rappelle l’alchimiste. Leur tracé est signifiant, il n’est pas le fruit du hasard. » Tout commence par un point. « Lorsque cette singularité se met en mouvement, elle donne la lettre I, l’unité. » Puis la création s’ouvre, elle devient le A, la règle, « le compas qui délimite l‘espace ». Celui-ci trace le O, symbole du corps et de l’esprit. Enlevez l’esprit, il reste le corps, C. Le E, lui, représente « le monde, la liaison des plans matériel spirituel et divin ». Retirez la matière, vous obtenez F, le feu et ainsi de suite : T la terre ; R le souffle ; P le père ; M la création. . .
Une vibration.
De l’agencement de ces lettres, de leurs sonorités mêlées, naît une vibration, une harmonique qui parle de nous autant qu’elle nous modèle. « Chaque lettre a une vertu. Certaines sont matérialistes, d autres idéalistes, mentales, intuitives. . . La manière dont elles s’articulent donne des clés, parfois stupéfiantes, qui dévoilent la vie de la personne, confirme Françoise Since. Par exemple, lorsque je vois la journaliste Elise Lucet à la télévision, je suis saisie par la cohérence entre son nom, son physique et son comportement. La plupart des lettres de son identité incarnent la communication, l’enthousiasme. Mais leur combinaison globale manifeste une douceur; une pudeur; une réceptivité. »
Tous les Jacques seraient-ils alors porteurs d’un caractère et d’un destin communs ? « La première partie de ce prénom indique un ancrage dans le passé, un cadre strict, peut-être une éducation, des choses éprouvées physiquement, indique Patrick Burensteinas, alors que la seconde partie souligne une curiosité Ce prénom peut donc révéler un déchirement. Sa clé est de parvenir à se libérer de certaines pesanteurs pour s'autoriser a courir le monde. Se dire que les règles, les responsabilités, n'empêchent pas de s'octroyer les bulles de liberté dont on a besoin. »
Mais le prénom n'est qu'une partition. Chacun, en fonction de ce qui le façonne par ailleurs - son nom de famille, son passé, sa généalogie, ses date et lieu de naissance... - en exprime plus ou moins telle ou telle note. « Il faut de l’invitation pour sentir quelle lettre, chez cette personne, va être importante, convient Françoise Since. Lorsqu'on rentre dans l’intériorité de l'être, toute une alchimie se crée. Nous devons aussi faire attention, dans nos interprétations, à ne rien figer »
Le programme d’une vie.
Choisir un prénom est loin d'être anodin. Quand l'enfant s’annonce, bien des parents en prennent la mesure. Son prénom vibrera de sa naissance au crépuscule de son existence. Que dira-t-il de lui, quel destin lui programmera-t-il subtilement ? L'enjeu est intimidant. Faut-il suivre son instinct, les conseils, la mode, la tradition familiale ?
« Autrefois, on donnait aux enfants les prénoms des aïeux, ce qui ne facilitait pas l émergence d'une identité propre », note Françoise Since. De nos jours, un prénom reste souvent révélateur de la personnalité des parents, de leurs goûts, de leur appartenance communautaire. « Qui na jamais entendu des gens donner a leur fils le nom d'un joueur de foot ou d’un chanteur; avec l’espoir secret d’orienter un peu sa destinée ?», rappelle la numérologue. S'il est important qu'un prénom ait une racine, s'il signe indéniablement un héritage, il s'impose aussi parfois étrangement, au gré d'un rêve, d'une intuition. « Quand j’ai choisi les prénoms de mes enfants, je pensais être original, témoigne Patrick Burensteinas. Dix ans après, dans 1a cour de recréation, des dizaines d écoliers portaient les mêmes ! Dire qu'il s’agit d'un phénomène de mode ne résout pas le problème. À un moment; une musique traverse l univers. Des milliers de personnes captent de manière subliminale et en traduisent la vibration sous forme de prénoms. »
D'où vient ce souffle ? Pour les mystiques, c'est « l'âme [elle-même] qui murmure à l'oreille des parents » les sons (et leur agencement) qui l’aideront à tracer son chemin dans cette vie-ci. Dans bien des traditions, la décision de nommer un enfant revenait d'ailleurs aux astrologues ou aux prêtres. En Inde, par exemple, « on faisait le thème astrologique de l’enfant avant sa naissance, afin de connaître son plan d incarnation, et déterminer le prénom en conséquence », explique Françoise Since. Encore aujourd'hui, dans certaines lignées spirituelles, au bout d'un certain temps, un maître vous donne un prénom. Non comme un aboutissement, mais comme la voie à suivre, l'objectif vers lequel vous devez tendre. « Initier, c'est débuter, pas finir ! Chez les magiciens, ces prénoms doivent rester secrets, afin que personne d’autre n’en connaisse la vibration », souligne Patrick Burensteinas.
Nouveau prénom, nouvelle vie ?
Mais que faire lorsqu’on ne se retrouve pas dans son prénom ? Faut-il le troquer pour un autre, s’en trouver une variante ou un diminutif? « Rien n’est neutre, souligne Patrick Burensteinas. Michel par exemple, signifie le gardien de la voie du milieu. Si vous l’appelez Mimi, vous le privez de son corps –donc de sa liberté. » En France, 3 000 personnes par an demandent à changer de prénom. Pour éviter les discriminations, Yamina devient Brigitte. Pour assumer sa foi, Guillaune veut s’appeler Salah. Aysel avait 10 ans lorsqu’elle est soudain devenue Aurélie, au gré de la naturalisation de ses parents ; à l’âge adulte, elle a souhaité reprendre son prénom turc, plaidant que ses camarades d’école disaient qu’elle n’avait pas une tête d’Aurélie.
« Il n’y a pas de bons ou de mauvais prénoms, estime Patrick Burensteinas. La question est plutôt d’être en accord avec le sien. » Une Marie-Françoise qui se fait appeler Marie, alors que son prénom initial l’incarnait totalement, se prive d’une partie de sa résonance. Une Marie-Thérèse, fatiguée de s’occuper des autres, qui supprime l’essence maternante de Marie pour ne garder que Thérèse, est en cohérence. La décision est délicate : s’il s’agit d’un simple rejet, sans qu’on ait d’abord complètement intégré pourquoi on portait ce prénom, cette part de soi se représentera. La décision doit donc être le fruit d’une évolution bien comprise, la concrétisation du passage à une nouvelle phase de vie. C’est le cas de la thérapeute Monica Lenhard, baptisée Monique par sa mère en référence à l’héroïne de La Garçonne de Victor Margueritte : « Pour elle, ce prénom incarnait une femme libre. Elle voulait que j’aie un travail, une maison, une voiture. » Ces étapes accomplies, elle décide de rajouter un a, afin de se doter « d’une pointe de douceur et de féminité ». . . tout en stipulant ainsi « qu'elle prend les rênes de sa vie », commente Patrick Burensteinas.
La tendance est aux vibrations « courtes, nettes et franches », dit Françoise Since : Emma, Lola, Léa, Hugo, Enzo, Théo. .. L’essor des prénoms féminins en A traduit « l’esprit de décision, l’indépendance, l’action, une énergie traditionnellement plus masculine ». L’arrivée en force chez les garçons de la lettre o marque « un engagement du cœur ». Autre signe des temps : le retour des Raphaël et des Gabriel. « El est 1a syllabe du souffle divin », rappelle Françoise Since. Ces prénoms dessinent-ils l’avènement d’une génération plus fraternelle et plus spirituelle ? Cela semble être, du moins, l’aspiration de leurs parents. De la lettre à l’être. . .
Réjane Éreau
Magazine INEXPLORE n°22 avril-mai-juin 2014.