Vers une médecine intégrative.
De nombreux acteurs de la santé en appellent aujourd’hui à l’émergence d’une médecine qui sache tirer le meilleur de nos propres potentiels de guérison.
A l’heure où la médecine arrive à des performances chirurgicales incroyables, où elle est capable de manipulations génétiques vertigineuses et de tours de force chimiques redoutables, nombre de médecins, de soignants, de thérapeutes, se questionnent sur les facteurs réels de la guérison. Car si les habilités développées par la science médicale doivent être évidemment louées, l’organisme humain est trop souvent réduit à des organes et des fonctions, considérés comme les pièces d’une grande machine à laquelle il faut imposer des solutions. Or, médecins et psychiatres s’accordent à le dire, nous sommes bien plus qu’une mécanique biochimique, et notre organisme déploie en réalité des prouesses que la science est encore bien loin d’égaler. Pour le dire simplement : l’être humain est doté de capacités d’auto guérison insoupçonnées. Et ce potentiel de régénérescence, lorsqu’il a lieu, révèle une intelligence et une finesse qu’aucune technique artificielle ne semble pouvoir atteindre. « Nous sommes les possesseurs de pouvoirs immenses dont nous ne soupçonnons pas même l’existence. Le cerveau et le corps humain détiennent des capacités inouïes que nous n’utiliserons sans doute jamais, soit par ignorance, soit parce que nous ne savons pas comment les repérer, les identifier, les développer et les activer », indique le Dr Frédéric Saldmann, cardiologue et nutritionniste. Que savons-nous alors sur ces pouvoirs immenses dont nous serions détenteurs ? Qu’est-ce qui favorise leur apparition, et quelle médecine pour les accompagner?
La clé de la guérison est en nous.
N’avez-vous jamais été émerveillé de la vitesse avec laquelle une entaille au bout de votre doigt se cicatrise ? Instantanément, tout un processus de réparation se met en place de manière à régénérer les tissus. Au bout de quelques minutes déjà, vous pouvez constater la consolidation à l’œuvre et quelques heures plus tard, la plaie est refermée. Vasodilatation, migration cellulaire, émission d’hormones et de facteurs de croissance, élimination des déchets, formation de nouveaux tissus... Tout ce processus, fabuleusement coordonné, va produire une cicatrisation qui frôle la perfection. Au final, l’empreinte de votre doigt n’en souffrira même pas. Cela en soi est déjà incroyable, et nous ne comprenons pas encore entièrement comment cela se fait. Que penser alors de la réparation des plaies profondes ? De la capacité des os à se ressouder ? De l’habileté du système immunitaire à combattre certains virus ou bactéries nocifs pour nous ? « Une équipe de l’Institut Pasteur a mené une expérience durant laquelle ont été prélevées des cellules souches sur des cadavres vieux de 15 jours. Imaginez dans quel état ils devaient être ! Après avoir été mises en culture, ces cellules sont reparties. Les cellules souches peuvent tout faire, reconstituer n’importe quel organe. Cela illustre combien le corps humain en lui-même a des moyens de régénération incroyables », poursuit le Dr Frédéric Saldmann. Que ce soit au travers de l’incroyable complexité du système immunitaire, lui-même intriqué avec le système nerveux et le système endocrinien, de notre aptitude essentielle à l’homéostasie – capacité à conserver notre équilibre –, de cette incroyable plasticité cellulaire… l’être humain n’est pas à court de processus auto-réparateurs, qui peuvent en réalité se décliner sous mille et une facettes.
Faire confiance à l’organisme.
Il arrive, bien sûr, que cette capacité intrinsèque à se régénérer soit parfois mise à mal. Mal nourri ou malmené, débordé par trop de stimuli ou d’attaques, sous l’emprise d’agents plus forts que lui, parfois le corps n’arrive plus à se rééquilibrer et la maladie s’installe. C’est là qu’intervient la médecine. « La médecine, c’est tout ce qui peut soulager le désordre d’un organisme vivant. C’est ce que fait l’homme, quand il y a des phénomènes qui produisent de la maladie, de la douleur ou un dysfonctionnement, pour parvenir à produire une correction sur ce trouble qui l’a envahi », nous explique le psychiatre Patrick Clervoy. Et clairement, face à un processus pathologique avancé, il faut intervenir. Mais ce que de nombreux médecins, soignants et thérapeutes questionnent, c’est l’intention derrière l’intervention. Intervenir veut-il dire imposer une solution ? Ou au contraire se mettre à l’écoute des symptômes produits par le corps, de manière à l’accompagner dans son effort intelligent ? C’est une question fondamentale pour la médecine. Dans le premier cas, le médecin décide pour son patient et dicte, avec ses moyens thérapeutiques, la direction à suivre. La maladie est vue comme un processus chaotique contre lequel il faut lutter. Dans le deuxième cas, le médecin part du principe qu’il y a une intelligence à l’œuvre dans la réaction pathologique du patient. Il va alors chercher à débloquer ce qui empêche cet effort de finir son travail. Il s’appuie sur et accompagne la capacité de guérison du patient. « Georges Canguilhem, philosophe français et médecin, avait très justement défini la maladie comme une tentative de l’organisme de retrouver un équilibre dans une situation perturbée, nous raconte le Dr Thierry Janssen, chirurgien devenu psychothérapeute. Certains symptômes prennent parfois trop d’ampleur et mettent la vie du patient en danger. Il est donc nécessaire de les réduire et de les contrôler. Néanmoins, il est important de rester à l’écoute du message contenu dans le symptôme, de se rendre compte qu’il ne surgit jamais par hasard, qu’il est le résultat d’une perturbation et d’un effort de l’organisme pour retrouver l’équilibre. Cela oblige à en rechercher la ou les causes pour y remédier. »
Une médecine intégrative.
C’est sur cette écoute de notre capacité de guérison que s’appuient la plupart des approches dites alternatives ou holistiques. Elles cherchent à accompagner l’élan de vie au cœur de l’organisme, se focalisant beaucoup plus sur le fait de maintenir la santé, plutôt que de guérir la maladie. Et au vu de leurs résultats probants, ces approches multiples sont de plus en plus intégrées à la médecine conventionnelle.
En plein cœur de l’immense hôpital parisien de la Pitié-Salpêtrière, se trouve le Centre intégré de médecine chinoise. Stéphanie Nicolian, sage-femme diplômée d’acupuncture, raconte : « J’ai pratiqué l’acupuncture sur une patiente enceinte de 38 semaines. Elle était sous morphine à cause de violentes douleurs ligamentaires. Après la première consultation, elle a dormi toute la nuit, ce qui ne lui était pas arrivé depuis longtemps. 3 séances plus tard, elle n’avait plus besoin de médicaments ». A l’hôpital Sainte-Anne, toujours à Paris, le célèbre psychiatre Christophe André fait méditer ses patients en expliquant que « les études montrent que la pratique active de la méditation réduit par 2 les rechutes dépressives et le risque de récurrence anxieuse ». En Haute-Savoie, la Dr Tavernier, chef du service des urgences de l’hôpital d’Annemasse, explique qu’elle fait appel à des barreurs de feu quand elle reçoit des brûlés : « Un médicament pour la douleur met 15 ou 20 minutes pour agir. Avec le barreur de feu, en 30 secondes c’est fini, on n’en parle plus. Il n’y a pas de médicament qui fasse ça ». La liste de ces exemples de collaboration entre la médecine allopathique et d’autres approches de la santé est en réalité très longue. De nombreux médecins complètent leur pratique avec des techniques holistiques, des hôpitaux intègrent des approches alternatives, des assurances complémentaires de santé commencent à rembourser certains soins… Loin de se faire mutuellement la guerre, le monde allopathique et le monde holistique construisent à l’heure actuelle de nombreux ponts. Si bien qu’on entend de plus en plus d’acteurs de la santé appeler de leurs vœux l’émergence d’une médecine intégrative. Une médecine qui saurait tirer le meilleur des deux mondes. Serait-ce une esquisse de la médecine de demain ?
Des guérisons inespérées.
« Alors que j’étais jeune externe à l’hôpital, sans comprendre, nous avons assisté à la guérison spontanée d’une femme de 50 ans qui était atteinte d’un cancer du sein avec de nombreuses métastases. [...] Il avait été décidé à l’époque de ne tenter aucun traitement, à part des antalgiques à la demande. Et c’est contre toute attente que la patiente a guéri de sa maladie, en quelques mois, sans que l’on ait jamais pu comprendre l’origine de cette guérison mystérieuse », raconte le Dr Saldmann. Comment décoder ces cas de guérison miraculeuse qui dépassent l’entendement ? Suffit-il de brandir les capacités de régénérescence de nos cellules ? Y aurait-il d’autres mécanismes à révéler ? Marc Ian Barasch et Caryle Hirshberg ont cherché à comprendre. Menant une enquête minutieuse sur des cas de guérison extraordinaire dont les preuves médicales sont irréfutables, ils ont cherché quel pouvait bien être le dénominateur commun à toutes ces rémissions. Seulement voilà, chaque personne interrogée leur a répondu quelque chose de différent. « L’un a dit que c’était parce qu’il pratique le qi gong de manière régulière. L’autre parce qu’il est passé à un régime macrobiotique qu’il suit à la lettre. Un troisième dit que c’est parce qu’il est allé voir un guérisseur aux Philippines. Un quatrième parce qu’il fait une psychothérapie et qu’il se libère des souffrances émotionnelles accumulées depuis l’enfance... et ainsi de suite », raconte le Dr Thierry Janssen en évoquant cette enquête. Alors, qu’est-ce qui a bien pu guérir toutes ces personnes ? Est-ce le moyen qu’ils ont utilisé ou est-ce quelque chose qui s’est produit à l’occasion de l’utilisation du moyen ? « En fait, poursuit le Dr Janssen, il y a chez toutes ces personnes un dénominateur commun : la profonde conviction que ce qu’ils font est juste et bon pour eux, dans un système culturel qui soutient leur action. » Le facteur commun à toutes ces personnes qui ont guéri miraculeusement serait alors une disposition d’ordre psychique : une conviction que l’action entreprise a du sens et qu’elle est effective. Avoir la sensation que ce que l’on fait est juste serait incroyablement réparateur. Cela permettrait de mobiliser des énergies de guérison spectaculaires.
L’effet placebo.
« A force de considérer le corps comme un objet, la science médicale oublie que l’être humain c’est aussi des émotions, des sentiments, des pensées et des croyances », souligne Thierry Janssen. Et tout cela semble effectivement intervenir sur l’état de notre santé. En fait, ces facteurs psychiques commencent même à être reconnus par le milieu médical. L’effet placebo, nous expliquent les médecins, c’est quand la guérison est le résultat de la croyance du patient, plutôt que du traitement en lui-même. En d’autres termes : si le patient croit que ça va marcher, cela peut faire que ça marche. Et des centaines d’études montrent cet effet maintenant indéniable. Publiée en 1955 par Henry Beecher de l’université Harvard, une étude indique que, chez 35 % des patients, la douleur est soulagée par la prise d’un comprimé de sucre ou d’une injection de sérum physiologique – qui n’a aucun effet thérapeutique précis. De nombreuses recherches ont même été menées avec des interventions chirurgicales factices. Les résultats sont stupéfiants. Même ayant subi une fausse opération, un grand nombre de patients guérissent. D’autres études ont démontré que l’effet placebo a bel et bien un effet physique. « Aujourd’hui, on voit par exemple, avec l’imagerie cérébrale, que l’effet placebo agit réellement sur le cerveau », explique Patrick Clervoy. Nos croyances peuvent changer notre physiologie et un tiers des guérisons médicales seraient imputées à l’effet placebo. C’est beaucoup. Pourtant l’effet placebo dérange. Il vient jouer le trouble-fête au milieu des moyens chimiques et chirurgicaux. Il est considéré comme imprévisible, indomptable, il brouille les statistiques. Les médecins ne veulent pas de lui. « Curieusement, la médecine moderne semble redouter cet aspect de la pratique thérapeutique. Lorsque je travaillais à l’université, je participais à de nombreuses études cliniques afin d’évaluer l’efficacité de certains médicaments ou de certaines technologies. Chaque fois il fallait exclure l’effet placebo. Comme si celui-ci était un ennemi, une sorte d’empêcheur de soigner en paix, souligne Thierry Janssen. [...]Pourtant, au lieu d’éliminer l’impact de l’effet placebo, on pourrait le considérer comme un outil thérapeutique majeur, l’utiliser en pleine conscience, le renforcer, voire le favoriser ».
Une médecine psychosomatique.
L’effet placebo n’est en réalité qu’un aspect d’un vaste champ : la psychosomatique. Ce domaine étudie les interactions entre le corps et l’esprit, et donc l’importance des processus psychiques, indécelables par nos microscopes, dans les guérisons physiologiques. « Probablement qu’en médecine, l’une des directions à venir va être de réinvestir la dimension psychosomatique. Il faut savoir que les premières médecines se basaient essentiellement sur cette relation entre l’esprit et le corps – ce qui a été abandonné par la suite dans nos pays occidentaux », explique le Dr Clervoy. Qu’est-ce que cette psyché qui semble avoir le pouvoir d’orienter notre santé ? La psyché, nous disent les experts, est composée d’un éventail d’instances différentes, conscientes ou inconscientes – le Moi, le Surmoi, le ça, le Soi… Le psychiatre Carl Gustav Jung explique même que ces ensembles psychiques seraient en communication avec ce qu’il appelle l’inconscient collectif – une sorte de base de données universelle partagée par tous. Notre psyché ne se réduit donc pas simplement à notre petit moi. C’est quelque chose de beaucoup plus vaste et dont les frontières se mélangeraient à un savoir collectif et ancestral. Décider « d’y croire » de manière volontaire peut ne pas suffire pour guérir. Ce dont il est question est d’arriver à actionner des courants psychiques profonds et puissants, dont nous ne connaissons pas toujours la teneur, mais qui provoquent la guérison. « J’ai fréquemment rencontré une sorte de dogme selon lequel il suffit de penser positif pour être guéri. C’est fallacieux et ça tend à générer de la culpabilité chez les patients qui échouent. En revanche, nous pouvons, sans tomber dans ce travers, jouer sur le levier de ce qu’on appelle en anthropologie : l’effet de sens. Nous pouvons construire des perspectives entre le soignant et le patient qui facilitent l’effet du traitement sur son état de santé », nous dit Jean-Dominique Michel, anthropologue de la santé et psychopraticien. Ne pourrions-nous pas, alors, imaginer une médecine qui prenne de nouveau en compte ces données psychosomatiques pour stimuler nos capacités de guérison ? Inclure la réalité personnelle et subjective du patient, discuter de ses croyances autour de sa maladie, ne pas fermer la porte à d’éventuelles possibilités de guérison même en cas de maladie grave, l’orienter vers des pratiques complémentaires ou un accompagnement psychologique si besoin… avant tout, l’aider à avoir recours à des procédés qui ont du sens pour lui et son entourage. « Il y a une notion que j’aime bien, c’est la notion d’espérance, poursuit Jean-Dominique Michel. Il ne s’agit pas de donner un espoir illusoire, mais je trouve qu’il y a une espérance chez tout patient, et notamment chez ceux confrontés à des situations incurables, qui est à respecter et à favoriser. »
Source : Inexploré n° 21 janvier-mars 2014
INREES
Bonus :
une vidéo sur ce sujet (série : 'C'est pas sorcier")