Alors que le Président français vient de dévoiler un nouveau plan cancer, certains hôpitaux innovent en matière de traitement de cette maladie. A l’hôpital parisien de la Pitié-Salpêtrière,
l'acupuncture accompagne maintenant la chimiothérapie pour tendre vers une médecine plus holistique.
Les temps changent, les mentalités aussi. En bonne intelligence, le Pr David Khayat, responsable du service d’oncologie de l’un des plus grands groupes hospitaliers d’Europe, a valorisé la collaboration entre deux approches : la médecine allopathique et l’acupuncture, qui se complètent de manière admirable au sein de l’un des plus prestigieux hôpitaux français. Les résultats semblent être au rendez-vous. L’acupuncture permet dans un premier temps une baisse des effets secondaires de la chimiothérapie. C’est déjà en soi une amélioration considérable de la qualité de vie des patients. Mais surtout, elle semble favoriser le maintien de la chimiothérapie chez des patients qui seraient sinon trop affaiblis. « Quand les patients n’ont pas, par exemple, de résultats sanguins suffisants, ils ne peuvent recevoir leur chimiothérapie, nous explique le Dr Haide Boostandoost, cancérologue. Nous avons montré, preuves biologiques à l’appui, que l’acupuncture contribue à faire remonter leurs taux sanguins, ce qui leur permet de continuer leur traitement. » Face à la difficulté des soins contre le cancer, c’est inespéré. Solidaire et au service des mêmes objectifs, l’acupuncture, une technique chinoise vieille de 2 500 ans, permettrait un meilleur suivi des traitements de notre médecine moderne. Comment une telle collaboration a-t-elle vu le jour?
Soutenir le patient.
« En 2004, nous avons assisté à une révolution en cancérologie. Jusque-là, nous faisions des traitements basés sur des données statistiques à grande échelle. Nous attaquions la tumeur avec les médicaments cytotoxiques sans regarder la personne ou son système immunitaire. Mais avec l’arrivée des thérapies ciblées, nous agissons désormais aussi sur la personne pour renforcer son système immunitaire et pour l’empêcher de créer les conditions nécessaires au développement de la tumeur », nous dit le Dr Boostandoost. Changement de vision. Les médecins comprennent que l’état général du patient peut avoir un impact sur le traitement. Et ça paie. Il en résulte un gain de plusieurs années au niveau des courbes de survie. C’est énorme. Mais les traitements chimiques restent lourds pour l’organisme. La chimiothérapie va notamment affecter le fonctionnement de la moelle osseuse où se crée notre sang. Il en résulte une baisse des globules rouges et blancs et des plaquettes, qui sont des composants essentiels du sang. Et si les résultats sanguins du patient sont trop bas, il devient dangereux pour lui de suivre sa chimiothérapie. Un jour, en 2005, le Dr Boostandoost reçoit une patiente dont le taux de plaquettes est trop bas. Elle lui propose alors d’essayer une séance d’acupuncture. « Elle avait 37 ans et 4 enfants, il fallait vraiment faire quelque chose. J’avais commencé à m’intéresser à l’acupuncture au vu du sérieux des études que j’avais lues. Je savais aussi qu’elle était enseignée dans certaines facultés en France et nous en avions discuté avec le Pr Khayat. » Après une seule séance, le taux de plaquettes de la patiente remonte. Serait-ce une piste ? L’acupuncture pourrait-elle contribuer à soutenir l’organisme des patients afin d’optimiser le traitement par chimiothérapie?
Une acupunctrice à l’hôpital.
Durant cette même période, une acupunctrice est employée par la fondation AVEC du Pr Khayat, pour travailler dans le service d’oncologie de la Pitié-Salpêtrière. « Au début, je devais m’occuper plutôt du personnel, car c’est un service difficile et les infirmières ont besoin de soutien. Mais rapidement, voyant ma façon de travailler, il a été décidé que je devais aussi traiter des patients », nous explique l’acupunctrice Claudia Gouda.
Le Dr Boostandoost commence alors à proposer à ses patients ayant une baisse de plaquettes de suivre des séances d’acupuncture. « L’acupuncture peut aider à amoindrir beaucoup d’effets collatéraux de la chimiothérapie : douleurs, nausées, problèmes digestifs... Ceci est d’ailleurs reconnu par l’Organisation mondiale de la santé. Et bien sûr, il y a les effets sur les résultats sanguins, et notamment sur le taux de plaquettes, que nous voyons avec le Dr Boostandoost », indique Claudia Gouda. Au bout de 2 ans de travail conjoint avec la chimiothérapie et l’acupuncture, la cancérologue décide de documenter le travail effectué, tellement les résultats sont bons. « Nous avons sous les yeux les preuves biologiques de ce que nous faisons. L’acupuncture favorise clairement l’augmentation du taux de plaquettes, ce qui permet le maintien de la chimiothérapie, précise le Dr Boostandoost. Pour moi, la médecine conventionnelle et les médecines complémentaires ont tout à gagner à se rapprocher de plus en plus. De toute façon, nous n’avons pas le choix, la médecine conventionnelle seule n’arrive pas à tout guérir.
Dialoguer avec l’âme.
Le service d’oncologie de la Pitié-Salpêtrière suit les recommandations du ministère de la Santé à la lettre. Pourtant, des gens de toute la France mais aussi du monde entier s’y rendent pour recevoir le même traitement qu’ailleurs. Pourquoi ? Serait-ce parce que les médecins de ce service cherchent à élargir leur champ d’action pour mieux soutenir les patients dans cette épreuve ? « Ce sont les paroles, la présence attentive et l’énergie que le Pr Khayat arrive à faire passer qui font la différence. Il a compris que ce ne sont pas que les médicaments qui soignent, il faut agir sur plusieurs facteurs. Il montre par l’exemple que la communication que nous établissons avec le patient est primordiale », nous dit la cancérologue. Parler au patient avec soin, lui expliquer ce qui va se passer, le soutenir dans l’épreuve, encourager son élan de vie... « Les mots peuvent mobiliser les forces du malade engagé dans un combat titanesque, l’encourager, le tenir debout là où tout concourt à le faire s’effondrer », écrit le Pr Khayat dans son livre De larmes et de sang. « Guérir le corps est sans nul doute fondamental, mais veiller à ne pas blesser l’âme est tout aussi important. C’est cela, selon moi, être médecin. » Et le Dre Boostandoost le voit dans sa pratique, le traitement marche mieux chez les personnes qui arrivent à rester optimistes et à garder le moral. « Vous savez, il y a tellement de liens entre le corps et le psychisme, nous le voyons en permanence chez nous. Le facteur psychologique est important, et pour beaucoup, c’est le psychisme des patients qui améliore la guérison. »
SOURCE : magasine de l’INREES, « Inexploré » n° 31 (janvier-mars 2014)