Visionnaire, compositeur, écrivain, spécialiste des plantes..., Hildegarde de Bingen est avant tout une femme consacrée à Dieu, totalement dédiée à sa vocation et à sa mission. Récemment déclarée Docteur de l’église, elle est un prophète pour notre temps. Profondément engagée dans la vie de son époque, elle a su transmettre aux générations suivantes des écrits toujours d’actualité, mais aussi une foi et une connaissance mystique qui n'ont pas d'âge.
En deux mille ans de christianisme, Hilde garde de Bingen (1098-1179) est la quatrième femme proclamée Docteur de l’Eglise, le 7 octobre 2012. Mais plus de huit siècles après sa mort, cette femme est encore mal connue : au mieux son nom est lié à des gammes de produits diététiques.
« Conscience inspirée du XIF siècle », avec saint Bernard de Clairvaux, devançant de près de quatre siècles Léonard de Vinci, anticipant Dante, préparant Pasteur, elle n'a été oubliée pendant longtemps que parce qu'elle était trop géniale pour être comprise... et parce qu'elle était femme, sans doute.
Le XX° siècle a préparé sa redécouverte, lorsqu'on a trouvé dans ses écrits la source d'un enseignement médicinal à la fois traditionnel et original puisant aux trésors de la nature. Mais Hildegarde, bénédictine divinement inspirée, ne propose pas seulement de soigner les corps, elle veut avant tout guider les âmes, régénérer l'esprit; elle redonne ainsi au christianisme la conception holistique de la personne qui est propre à la tradition biblique. « Le corps est l'atelier de l'âme où l'esprit vient faire ses gammes » sonne comme un résumé de son regard sur l'homme, en écho aux paroles de saint Paul ; « Que tout votre être : esprit, âme et corps, soit gardé irréprochable pour la Venue de Notre Seigneur Jésus-Christ » (1" aux Thessaloniciens 5,23). On ne peut donc isoler les indications pharmacologiques de la grande bénédictine de son enseignement sur la personne dans sa totalité. A quoi servirait-il de soigner son corps temporel si on ne se préoccupait, en même temps, du salut de son âme éternelle ? Prier et vivre droitement demeure la meilleure thérapie contre les maladies pernicieuses du XXI° siècle... tant au niveau du corps que de l'âme !
Une moniale de caractère.
Le XII°° siècle est celui du monachisme, qui connaît une expansion spectaculaire. Hildegarde de Bingen, tout comme saint Bernard, appartient aux ordres qui - marqués par un retour à la simplicité - tentent de répondre aux besoins spirituels de leurs contemporains exacerbés par la vision d'une Eglise riche et puissante. De nouvelles sectes font leur apparition, mais dans ces moments de décadence jaillissent des saints animés par l'Esprit! A l'aube du siècle de l'art roman et des croisades, en 1098, Hildegarde naît à Bermersheim, à 25 km de Mayence, au cœur du Saint Empire romain germanique. Dixième enfant d'une famille de petite noblesse, elle est gratifie de visions dès l'âge de trois ans. Ses parents savent qu'il convient de donner à Dieu la dîme de tout ce qu'il nous offre lui-même. C'est pourquoi, tout enfant, elle est confiée aux bénédictins du Disibodenberg, vaste monastère du Palatinat muni d'un hospice et d'un jardin de plantes médicinales. Dans ce lieu de miséricorde et de paix, elle est éduquée par un groupe de consacrées réuni autour de jutta de Sponheim. Elle force l'admiration de ses compagnes. Sa formation lui permet de lire, d'écrire, de jouer de la lyre et surtout de prier, de parler avec Dieu. Reçue dans l'ordre vers quatorze ans, elle prend l'habit à seize ans. A trente-huit ans, elle est élue supérieure de la petite communauté. Son rayonnement suscite l'essor du prieuré qui commence à devenir célèbre. En 1147, elle réclame le détachement du couvent mais se heurte au refus des moines et tombe mystérieusement malade. Avec l'appui de l'archevêque de Mayence, elle reçoit enfin l'autorisation de fonder le Rupertsberg (Mont de Saint Rupert) en 1150, et elle est instantanément guérie. Quinze ans plus tard, l'expansion du monastère entraîne une autre fondation, à Eibingen, aux bords du Rhin, où le corps de la sainte est conservé jusqu'à aujourd'hui et qui est devenu un lieu de pèlerinage. Elle a dirigé elle-même la construction de ces véritables forteresses de la foi, indiquant jusqu'à la composition du mortier utilisé par les bâtisseurs.
Hildegarde illumine son siècle.
Poussée par la « voix » qui parle en elle et par les visions dont elle est gratifiée, Hildegarde commence à écrire, non sans réticence : il faudra une nouvelle maladie pour la contraindre à dicter au moine Volmar ce que la lumière intérieure lui révèle et veut transmettre à l'humanité. Elle se défie cependant d'elle-même et soumet ces textes au jugement de l’église. Ses premiers écrits, présentés au concile de Trèves, reçoivent les encouragements du pape Eugène III et du grand saint Bernard, initiateur de la 2‘ croisade. C'est l'époque où les cisterciens révolutionnent agriculture et architecture. Suger, régent de France, lance la construction des cathédrales gothiques. Les ordres chevaleresques (Templiers) et le compagnonnage sont fondés. Tout comme Bernard, son aîné de huit ans, Hildegarde veut contribuer à la réforme de la chrétienté de l'intérieur et non par un esprit critique qui la situerait en marge de l’Eglise.
L'abbesse, progressivement rendue célèbre par ses écrits et le rayonnement de son abbaye, entretient une correspondance sans concession avec les papes, les nobles et même l'empereur Frédéric Barberousse, fauteur d’un schisme. Après la mort de saint Bernard, alors qu'elle a plus de soixante ans, elle entreprend quatre « croisades » de prédication à travers tout le bassin du Rhin, de la Moselle à la Suisse, des Pays-Bas aux confins est de l’Allemagne, rassemblant les foules sur le parvis des cathédrales, dénonçant les abus du clergé annonçant l’hérésie cathare et réconfortant les fidèles.
Un génie et un prophète dans de nombreux domaines.
Hildegarde de Bingen est aussi le plus grand musicien, pharmacologue et écrivain féminin du Moyen Age : on lui attribue trois livres de visions, le Scivias (Connais les voies du Seigneur : catéchèse fondamentale), le Livre des mérites de la vie (vices et vertus) et le Livre des œuvres divines (l’Homme dans l'univers), plus de soixante-dix œuvres musicales (Symphonie des harmonies des révélations célestes), un drame liturgique (Ordo virtutum), deux œuvres de description des plantes et de soins (Physica et Les causes et les remèdes), six autres livres mineurs, quatre cent cinquante lettres et cinquante-huit homélies. Avant elle, aucun compositeur n'a laissé une telle œuvre, aucune femme écrivain... nos manuels scolaires l'auraient-ils oubliée ?
Sa vie et son œuvre contredisent tous les préjugés sur la femme au Moyen Age et montrent comment une femme de cette envergure put non seulement se permettre d'intervenir dans la politique de son temps, mais encore de révolutionner les arts et faire progresser la science. Ses écrits sont d'une étonnante modernité; elle décrit par exemple l'univers en des images que les sciences modernes permettent maintenant de décrypter : elle parle d'énergie noire, de vents stellaires, de couches de l'atmosphère, distingue les planètes situées entre le Soleil et la Terre et les autres, décrit la Terre comme un astre sphérique où les hommes circulent et travaillent aux antipodes !
Sa musique aussi, tout en restant monodique, permet des écarts et des neumes qui la différencient du chant grégorien traditionnel et enchantent les compositeurs actuels. Il est vrai qu'elle ne fait souvent que transcrire les musiques angéliques qu'elle entend. Ses trois livres de visions, principalement peuvent guider l'homme d'aujourd'hui dans une voie de sagesse chrétienne : le premier indique la voie de la sagesse (Scivias) et reprend tout l'enseignement chrétien par les images, parfois truculentes, tirées de ses visions ; le second donne les moyens de vivre selon l'Evangile par une vie vertueuse, en évitant l‘écueil des vices (Livre des mérites de la vie); le troisième (Livre des œuvres divines) décrit le but à atteindre: une harmonie de l'Univers renouvelée grâce à la transformation intérieure de l'Homme. Ce dernier livre surtout est d'actualité, par exemple en matière d'écologie, puisqu'il montre que la racine de la pollution des eaux et de l'air vient de l'avidité humaine et de l'égoïsme mais que la nature finira par se retourner contre l'homme en des catastrophes terribles.
Toute la richesse spirituelle de l’Occident chrétien est ici synthétisée... Hildegarde-est-bien un prophète pour le troisième millénaire! Elle meurt en 1179, à quatre-vingt-un ans. Avant même son décès, on a commencé à rédiger le récit de sa vie. Au fil des siècles, quatre tentatives de canonisation n'aboutissent pas mais le peuple la considère sainte et son nom est inscrit au martyrologe romain dès le XVI° siècle. En 2012, Benoît XVI étend son culte local à l'Église universelle et la proclame Docteur de l’Eglise. Allemand et disciple de saint Benoît comme elle, il a su reconnaître le génie de cette femme et rendre à l'Eglise la figure magnifique d'une amoureuse du Dieu de Jésus-Christ, totalement donnée à ses sœurs et au salut du monde. Une femme animée du feu de l'Esprit Saint et qui le chante en des hymnes splendides:
O Feu de l'Esprit Saint,
Loué sois-tu, toi qui œuvres au son des tambourins et des cithares [...]
Lorsque tu enflammes l'esprit des hommes,
Le tabernacle de leur âme s'emplit de ta puissance.
Toute créature te loue, vie de toute chose,
Baume très précieux qui transfigure nos blessures béantes et souillées
En pierres précieuses!
Daigne maintenant nous rassembler tous ensemble en Toi,
Et diriger nos pas sur le chemin de la droiture. Amen.
Au Ciel, ma patrie, je rencontrerai ceux que tu as créés;
L’Amour de Dieu, voilà toute ma joie.
Parvenir à la tour du désir brûlant, voilà mon seul désir.
Mon Dieu, je veux faire ce que tu veux que je fasse.
Grâce aux ailes de la bonne volonté, je veux voler au-dessus des étoiles du ciel pour accomplir ta volonté.
Je n'ai d'autre désir; d'autre souhait, je n'aspire qu'à ce qui est saint.
Mon Dieu, fais de moi ton instrument,
Que je résonne entre tes mains comme le tambourin de ton amour! I
Source : BIO CONTACT n° 251 novembre 2014
Père Pierre Dumoulin Professeur à l’Institut des Sciences et Théologie des religions (Marseille)
Lire.
- Hildegarde de Bingen, prophète et docteur pour le troisième millénaire. Pierre Dumoulin, Ed. des Béatitudes
- Le livre des mérites de la vie, principes de psychologie chrétienne, texte traduit par Michel Trouvé et Pierre Dumoulin, Ed des Béatitudes.
- sur ce site : Hildegarde et la litho thérapie