Autrefois rares et convoitées, les épices sont aujourd’hui devenues indispensables en cuisine. Outre leurs qualités culinaires, on leur accorde des effets bénéfiques sur la santé.
Grains de poivre, bâtons de cannelle, clous de girofle, noix de muscade. .. Les épices font rêver depuis l’Antiquité. Jusqu’à la Renaissance, elles ont poussé à la conquête de territoires inconnus, alimenté le commerce de la route de la soie, incité à ouvrir de nouvelles voies maritimes. Sans elles, l’Occident aurait-il découvert le Nouveau Monde et son... piment?
Un peu d’histoire.
«Initialement manifestations de luxe et de raffinements extrêmes, promesses de voyages, de saveurs subtiles ou étranges, vecteurs de bienfaits pour le corps, les épices ont été, on l’oublie trop souvent, des produits aussi convoités que l’or », rappelle Eric Birlouez, ingénieur agronome et sociologue de l’alimentation.
C’est aux XVII°-XVIII° siècles qu’elles perdent de leur lustre, quand la cuisine française en réduit l’usage au profit de la crème, du beurre et des herbes aromatiques. Dans le même temps, de nouvelles denrées alimentaires, telles que le sucre, le chocolat ou le café, prennent leur place comme signes de distinction sociale. « Aujourd’hui, on note un regain d’intérêt vis-à-vis des épices de la part de consommateurs curieux des “cuisines du monde” et sensibilisés aux richesses aromatiques de ces ingrédients exotiques travaillés par quelques grands chefs », note Eric Birlouez. Mais les nutritionnistes aussi s’y intéressent. Tout comme les chercheurs qui depuis une vingtaine d’années analysent les molécules qui les composent, des travaux qui sont venus notamment pimenter les recherches sur les antioxydants et sur l’équilibre alimentaire.
Elles sont d’une très grande diversité.
Sans appartenir a un ordre botanique au sens strict, les épices sont d’origine végétale - à l’exception du sel - et ont pour fonction l’assaisonnement des mets. Certaines sont issues de fleurs (safran), de fruits ou de boutons floraux (clou de girofle). D’autres proviennent d’une graine (poivre, cumin, fenouil, cardamome), d’une racine ou d’un rhizome (gingembre, curcuma) ou encore d’une écorce (cannelle). Elles sont obtenues le plus souvent par séchage et transformation, à la différence des herbes aromatiques consommées telles quelles.
Elles possèdent les plus fortes concentrations en antioxydants. Depuis une vingtaine d’années, les scientifiques ont établi un lien entre certaines maladies dégénératives (cancer, pathologies cardio-vasculaires, diabète) et l’action de molécules destructives, les radicaux libres (lire le lexique), contre lesquels la nature nous offre des armes : les antioxydants. Selon le test ORAC (Oxygen radical absorbance capacity) (1), mis au point par des chercheurs américains pour mesurer le pouvoir antioxydant des aliments dans l’organisme, les champions ne sont pas, comme l’industrie souhaiterait nous en convaincre, les fruits rouges ou les super fruits (LIEN), mais les épices, clou de girofle en tête, suivi de prés par la cannelle et le curcuma. Cependant, ces indices sont calculés pour 100 g.
Or la consommation quotidienne d’épices dépasse rarement quelques grammes.
Elles contribuent à diminuer notre consommation de sel.
Car elles sont exemptes de chlorure de sodium, un facteur d’hypertension et de maladies cardio-vasculaires ainsi que d’ostéoporose et de calculs rénaux (2). L’Organisation mondiale de la santé estime qu’une diminution à 5 g de la consommation journalière de sel, qui avoisine les 10g en France, permettrait de réduire le taux global d’accidents vasculaires cérébraux de 23 % et le taux de maladies cardio-vasculaires de 17 % (3).
Elles pourraient favoriser le contrôle du poids.
Et ce au moyen de différents mécanismes. D’une part en favorisant une plus grande diversité alimentaire et donc une moindre monotonie, et d’autre part grâce à leurs propriétés pharmacologiques. La variété et la diversification alimentaire sont en effet les marqueurs d’une alimentation équilibrée. Une étude (4) constate qu’une alimentation diversifiée de la femme enceinte, riche en herbes et épices, entrainerait des préférences alimentaires plus variées chez le jeune enfant. D’autres travaux (5) suggèrent qu’une alimentation plus riche en herbes et épices serait moins grasse et sucrée et donc moins énergétique, ce qui contribuerait à un meilleur contrôle pondéral.$
Certaines épices exercent également des effets directs sur l’organisme. C’est le cas du piment fort, type piment de Cayenne, riche en capsaïcine, une molécule qui a la capacité d’augmenter légèrement la thermogenèse. Si cet effet sur le métabolisme énergétique a été confirmé par des études à des doses compatibles avec une utilisation quotidienne (1 g, soit environ une demi-cuillère à café par jour), les résultats restent néanmoins légers et semblent s’estomper dans le temps (6).
Attention toutefois à ne pas en abuser car les épices piquantes, les piments, le poivre, le curry, ou encore le paprika, favorisent les hémorroïdes, perturbent le retour veineux, et augmentent la perméabilité du tube digestif, pouvant provoquer des troubles digestifs chez les plus sensibles.
Un effet positif sur le poids
En rehaussant le goût, les épices peuvent augmenter l’acceptabilité des aliments riches en nutriments comme les fruits et légumes à la saveur moins prononcée que les produits gras, salés et sucrés. Alors que les personnes souffrant d’un excès de poids ont tendance à s’orienter vers des aliments moins riches en nutriments, l’utilisation d’épices encourage des choix alimentaires de meilleure qualité nutritionnelle, recommandés pour maintenir un poids normal. Une étude clinique menée chez des femmes en surpoids ayant consommé des extraits de safran pendant huit semaines a montré une diminution du poids corporel et de la fréquence du grignotage (7). Il existe donc un important potentiel de recherche à mener autour des herbes et des épices. »
source : Dr Jean-Michel BURUS Endocrinologue du Centre Kennedy d’Armentières (Nord)
Quelques chiffres :
314 446 C’est le nombre d’unités dites Orac, qui évoluent le pouvoir antioxydant des aliments, correspondant à 100g de clous de girofle.
En comparaison, 100 g de cannelle apportent 267 536 unités Orac et 100 g de curcuma, 159277.
Lexique.
Radicaux libres: produites par l’oxygène, ces molécules instables se caractérisent par la présence dans leur structure d’un électron célibataire. Les électrons aimant vivre en couple, les radicaux libres attaquent les molécules de l’organisme pour leur « voler » leurs électrons. Ce processus est accru par certains facteurs: le tabagisme, la pollution, une alimentation déficiente.
Test ORAC : indique le degré de protection qu'offrent les antioxydants en mesurant la dégradation de molécules fluorescentes par des radicaux libres en présence de différents antioxydants.
Thermogénèse : mécanisme de production de chaleur. Pour maintenir ou augmenter la température du corps, l’organisme dépense de l’énergie, notamment en dégradant les lipides des cellules graisseuses.
Sources :
Sciences et avenir n° 788 octobre 2012
(1) Absorbance Capacity (ORAC) of Selected Foods, Release 2. Mai 2010. Nutrient Data Laboratory Beltsville Human Nutrition Research Center (BHNRC) Agricultural Research Service (ARS) US Department of Agriculture (USDA). (2) Meneton P, Jeunemaitre X, de Wardener HE, MacGregor GA (2005). Links between dietary salt intake, renal salt handling, blood pressure, and cardiovascular diseases. Physiol Rev 85(2): 679-715. (3) Organisation mondiale de la santé, Comité régional de l'Europe, Plan d'action pour la mise en œuvre de la stratégie européenne contre les maladies non transmissibles (prévention et lutte) 2012-2016. (4) Yeomans, M. R. Palatability and the microstructure of feeding in humans: the appetizer effect. Appetite 27, 119—133 (1996). (5) Tapsell, L. C. et al. Health benefits of herbs and spices: the past, the present, the future. Med. J. Aust.185, 84—24 (2006). (6) Ludy, M.-J. & Mattes, R. D. The effects of hedonically acceptable red pepper doses on thermogenesis and appetite. Physiol. Behav. 102, 251-258