En s’inspirant de la photosynthèse réalisée par les plantes, des chercheurs ont réussi à produire un peu de carburant à partir d’eau et de soleil. Une avancée cruciale.
28 térawatts par an la consommation énergétique mondiale estimée en 2050.
1OOOOO térawatts par an l’énergie solaire parvenant sur Terre.
1OO térawatts par an l'énergie stockée par les plantes par la photosynthèse.
Un peu d’eau dans un bocal, un rayon de soleil et des bactéries génétiquement modifiées. Voilà tout ce dont le professeur Daniel Nocera, de l’université Harvard (Cambridge, États-Unis), a besoin pour fabriquer... un carburant capable de remplacer le pétrole! Réalisée pour l’heure sur un coin de paillasse en laboratoire, cette expérience annonce peut-être une révolution énergétique dans les décennies avenir. Car les scientifiques espèrent bien réussir, un jour, à remplacer en partie les ressources énergétiques fossiles par un carburant vert produit grâce à l’énergie solaire.
Et il y a urgence l En 2050, la planète comptera en effet plus de 9 milliards d’habitants et engloutira pas loin de 28 térawatts de puissance chaque année, soit environ... une fois et demie la consommation actuelle. Cette perspective, cumulée avec la raréfaction des énergies fossiles et les risques liés au réchauffement climatique que celles-ci engendrent, a donné un coup d’accélérateur à des recherches qui mobilisent désormais des centaines de scientifiques, notamment aux États-Unis, au Japon ou en France. Et pour tenter de fabriquer ce carburant solaire, les chercheurs s’inspirent de la nature qui, chaque jour, réalise cet exploit sous nos yeux grâce à la photosynthèse. À partir d’eau, de soleil et du dioxyde de carbone de l’air, les plantes produisent en effet des sucres comme le glucose, un carburant cellulaire qu’elles utilisent pour leur croissance. Grâce à la photosynthèse artificielle, les scientifiques espèrent quant à eux fabriquer de l’hydrogène - un gaz qui produit de l’électricité lorsqu’il alimente une pile à combustible - ou du carburant liquide qui pourrait directement venir remplir le réservoir des voitures.
La nature a trouvé comment stocker l’énergie solaire
Voilà déjà plusieurs décennies que l’on tente d’exploiter cette ressource intarissable qu’est le Soleil à grand renfort de panneaux thermiques ou photovoltaïques. Et pour cause ! En une heure, notre étoile déverse sur Terre l’équivalent de la consommation énergétique annuelle mondiale... Seul problème : chaque fois qu’elle se cache derrière les nuages ou disparaît derrière l’horizon, la production diminue ou s’arrête. Pour alimenter nos installations le soir ou en hiver, il faudrait stocker l’énergie produite. Or, à ce jour, aucune technologie n’est capable de le faire à l’échelle d’un pays par exemple. « Les batteries n’y suffisent pas car elles contiennent peu d’énergie par unité de volume. Autrement dit, si l’on voulait stocker beaucoup d’énergie, cela nécessiterait des batteries gigantesques et très lourdes.
Voilà pourquoi une voiture électrique n’a pas plus de 150 kilomètres d’autonomie », explique Ally Aukauloo, chimiste et professeur à l’université Paris-Sud d’Orsay (Essonne). « Si l’on veut développer les énergies renouvelables, il faut absolument résoudre le problème du stockage », insiste Marc Fontecave, professeur au Collège de France. Or la nature, elle, a trouvé un moyen efficace pour y parvenir : elle utilise les liaisons chimiques. À partir d’eau et de C02, les plantes savent encapsuler une partie du rayonnement solaire sous forme de molécules carbonées (les sucres). Ces molécules sont des concentrés d’énergie : quand on les brûle - lors de la respiration par exemple -, l’énergie contenue dans leurs liaisons chimiques est libérée pour être utilisée par les cellules. Les molécules riches en énergie qui intéressent les chercheurs ne sont pas des sucres, mais plutôt des carburants comme l’hydrogène, les hydrocarbures ou le méthane. Si le programme est clair, sa mise en œuvre reste une gageure. Déjà, une trentaine d’années aura été nécessaire pour comprendre la mécanique complexe de la photosynthèse naturelle. Car au cœur de chaque feuille se trouve une usine miniature où s’enchaînent de multiples étapes orchestrées par des enzymes et des pigments tels que la chlorophylle
Un panneau solaire branché sur un électrolyseur
Certains scientifiques ont bien tenté de mimer ces rouages naturels en imitant leur structure chimique... sans grands résultats. « Ces molécules organiques sont fragiles. Voilà pourquoi les plantes réparent certaines d’entre elles toutes les demi-heures i Une opération que nous ne pouvons pas effectuer, contrairement à un organisme vivant. De plus, le rendement de la photosynthèse ne dépasse pas l % chez les plantes, or il faut que nous fassions beaucoup mieux pour que le procédé soit viable », souligne Bill Rutherford, biochimiste et professeur à l’Imperial College de Londres (Royaume—Uni).
Pour réaliser une photosynthèse artificielle, de nombreux scientifiques se sont donc tournés vers des matériaux plus robustes comme des métaux ou des oxydes. Dès la fin des années 1990, les chercheurs américains John Turner et Oscar Khaselev ont produit ainsi de l’hydrogène à un rendement plus de dix fois supérieur à la photosynthèse naturelle. Pour ce faire, ils ont directement branché un panneau solaire sur un électrolyseur, un appareil capable d’arracher les protons de l’eau puis de les recombiner sous forme d’hydrogène sous l’impulsion d’un courant électrique. Las ! Le dispositif ne fonctionne pas plus d’une journée et utilise des métaux rares et coûteux tels que le platine pour catalyser (accélérer) la réaction. Les scientifiques se sont donc mis en quête du Graal : un système tout intégré capable de capter la lumière du soleil et de produire de l’hydrogène à partir d’eau, le tout avec des matériaux résistants et peu coûteux... une feuille artificielle, en somme !
Et c’est précisément cette feuille artificielle que Daniel Nocera, alors professeur au Massachusetts Institute of Technology (États-Unis), avait annoncé avoir mis au point dès 2011. Une fois trempé dans l’eau et exposé au Soleil, son dispositif - une fine plaque de quelques centimètres carrés - produit en effet de l’oxygène d’un côté, de l’hydrogène de l’autre. Mieux! La réaction peut se dérouler avec l’eau du robinet, à l’air libre et à température ambiante. La feuille est constituée d’une couche de silicium chargée de capter la lumière (comme dans les panneaux solaires) et recouverte de part et d’autre par des catalyseurs bon marché à base de cobalt, de nickel, de molybdène et de zinc.
Et alors que les systèmes de photosynthèse artificielle ne fonctionnaient jusqu’ici que quelques heures, le chercheur américain affirme avoir fait tourner le sien pendant plusieurs mois. « Daniel Nocera est le premier à avoir montré que ça pouvait marcher! » estime Bill Rutherford. Aujourd’hui, sa feuille artificielle produit de l’hydrogène avec un rendement proche de 12 %. D’autres dispositifs similaires flirtent avec les 10 % de rendement, comme ceux développés par Harry Gray, du CCI Solar Fuels (Center for Chemical Innovation) au Caltech (États-Unis) ou par Nathan Lewis du Joint Center for Artificial Photosynthesis (États—Unis).
Malgré ces résultats encourageants, la feuille artificielle comme source d’hydrogène n’a pas poussé autant que les chercheurs l’espéraient. « Le marché n’est pas encore prêt à passer à l’hydrogène », reconnaît Daniel Nocera, qui vient de revendre sa start-up Sun Catalytix à l’industriel américain Lockheed Martin. Dorénavant l’entreprise fabrique... des batteries. « Les infrastructures actuelles sont conçues autour du pétrole, analyse Marc Fontecave. Un carburant solaire liquide, plus facile à stocker et à transporter, aurait donc plus de chances d’avoir des débouchés à court terme. » Désormais professeur à Harvard, Daniel Nocera n’a pas manqué de prendre ce tournant. En début d’année, il annonçait la mise au point d’une feuille « bionique » capable de produire de l’isopropanol - un carburant liquide - à l’aide de bactéries. Ces organismes génétiquement modifiés fabriquent la molécule d’alcool à partir de CO2 et d’hydrogène provenant d’une feuille artificielle.
source : Sciences&Avenir
Une équipe américaine du Laboratoire national Lawrence-Berkeley utilise elle aussi des bactéries, mais pour synthétiser du méthane, principal constituant du gaz naturel. L’industriel Toshiba annonce quant à lui avoir réussi à fabriquer du monoxyde de carbone, un précurseur du méthanol (qui peut servir de substitut pour l’essence). Le japonais envisage une mise en œuvre à grande échelle dès 2020. De son côté, Daniel Nocera affirme que le rendement de sa feuille bionique approche les 10 %, suffisant estime-t-il pour passer à l’échelle industrielle. Un enthousiasme que tempère Harry Gray. « Tant que nous n’atteindrons pas les 15 %, nous ne serons pas prêts à dépasser le stade du laboratoire. »
Les deux protagonistes sont néanmoins d’accord sur un point : nous n’en sommes qu’au début de l’aventure. « Déployée à grande échelle sous forme de films souples ou rigides remplis d’eau, ce type de dispositif pourra non seulement produire des hydrocarbures pour alimenter le réservoir de nos voitures, mais aussi tout type de molécules carbonées comme des médicaments, de l’engrais, des précurseurs du plastique, etc. », s’enthousiasme Daniel Nocera. « En utilisant l’eau de mer, disponible en grande quantité, il sera un jour envisageable de remplacer toute la pétrochimie », renchérit Harry Gray.
Le chercheur américain parie sur le développement d’usines solaires d’ici à 2050... à condition que les financements industriels viennent arroser plus abondamment ces feuilles artificielles, qui pour l’instant ne poussent qu’en laboratoire.
Application : Demain, la maison produira son énergie
Imaginez une habitation dont le toit serait couvert d’une feuille artificielle grand format, un film high-tech dans lequel circulerait de l’eau. Exposé aux rayons du Soleil, ce dernier produirait de l’hydrogène et de l’oxygène, stockés dans des réservoirs. Ces gaz viendraient alimenter une pile à combustible pour produire l’électricité nécessaire au fonctionnement de l’éclairage ou des appareils domestiques. « Quelques litres d’eau suffisent à fournir une maison en énergie pendant une journée », souligne Daniel Nocera, professeur à Harvard (photo ci-contre), qui espère qu’un jour l’indépendance énergétique sera à la portée de tous grâce à la photosynthèse artificielle.
Lexique
- Photosynthèse : Processus permettant aux plantes de produire des sucres grâce à l’énergie du Soleil, avec comme matières premières l’eau et le CO2 de l’air.
- Carburant. Liquide ou gaz qui, lorsqu’il subit une combustion, libère une grande quantité d’énergie capable d’alimenter un moteur ou de produire de l’électricité.
- Catalyseur. Composé le plus souvent solide ou liquide dont la présence en faible quantité permet d’augmenter la vitesse d’une réaction chimique.
Source : Sciences et Avenir n°825 nov2015.
Mon rêve : appliquer cette technologie aux voitures électriques.
gag : je consomme du cinq feuilles au cent !!