Pratiqué de puis la nuit des temps à des fins spirituelles, le jeûne est aujourd’hui envisagé par certains pour le bien-être voire pour se soigner Partiel ou complet, intermittent ou continu, il englobe plusieurs types de pratiques. Le jeûne partiel connaît aujourd’hui de plus en plus d’adeptes en France. En témoigne le succès des stages « jeûne et randonnée ». Tout comme les nombreux livres, documentaires et témoignages sur ses bienfaits.
En pratique, il s’agit le souvent d’une diète stricte à base de bouillon de légumes et de jus de fruits inspiré de la méthode Buchinger à visée « préventive » mais pas « thérapeutique », le jeûne médicalisé n’étant pas autorisé en France. Mais d’autre pays comme l’Allemagne ou la Russie l’utilisent dans diverses indications. Cet effet thérapeutique ou préventif du jeûne est étudié dans les maladies inflammatoires, ou cardio-vasculaires et surtout le cancer, afin de mieux supporter les effets secondaires des chimiothérapies.
Quant à sa dimension spirituelle, « elle existe dans toutes les grandes traditions religieuses avec différents sens, mais n’a jamais de vocation purement corporelle », rappelle Jean-Michel Lecerf, chef du service nutrition de l’Institut Pasteur de Lille, qui met en garde contre certains amalgames entre bienfaits de l’âme et du corps, prêtant au jeûne des vertus fantaisistes de « purification » ou de «détoxination » de l’organisme.
Corps et cerveau au jour le jour.
Privé d’aliments, l’organisme s’adapte. Il passe alors par plusieurs phases, marquées par une série d’effets métaboliques, dont la connaissance est indispensable pour une bonne maîtrise du jeûne. Et éviter d’aller trop loin.
Notre organisme aurait besoin, toutes les six heures en moyenne, d’apports en nutriments, Vitamines et minéraux nécessaires au fonctionnement des composés cellulaires. Et de combustible — le glucose — pour produire énergie et chaleur. Pourtant, lorsque nous cessons de nous alimenter, nous ne tombons pas d’inanition. Ni au bout de quelques heures, ni même au bout quelques jours. La raison ? La grande capacité d’adaptation de notre corps, qui met en place des voies de substitution pour pallier l’absence de nourriture. Une adaptation dont l’intérêt « spirituel » - augmentation de l’acuité mentale - est connu depuis des millénaires ; et l’intérêt nutritionnel - baisse, au moins transitoire, du poids 'et de la glycémie, fonte des graisses - depuis plus d’un siècle.
Mais les effets métaboliques du jeûne sont aussi parfois utilisés à des fins thérapeutiques. Médiatisée en 2012 par un documentaire de Thierry de Lestrade, cette diète est pratiquée par ses adeptes pour lutter contre des maladies inflammatoires (arthrose, polyarthrite rhumatoïde, maladies de l’intestin, affections cardio—vasculaires...).
Des effets qui reposeraient notamment sur la mise au repos du système digestif qui permettrait de diminuer l’apport de substances pro-inflammatoires et d’assainir le microbiote (flore intestinale) connu pour son rôle dans l’efficacité de nos défenses immunitaires. Ces vingt dernières années, des travaux ont effectivement montré une diminution des marqueurs de l’inflammation (prolifération lymphocytaire, taux d’orosomucoïde aussi nommé alphal glycoprotéine acide) dans le plasma de sujets soumis à un jeûne partiel ou total. Toutefois la pertinence de ces essais cliniques (1) reste très discutée. Ainsi, dans un rapport de 2014, l’Inserm (2) a évalué pas moins de 351 publications scientifiques concernant les effets préventifs et thérapeutiques du jeûne. Et a conclu qu’aucune donnée clinique reposant sur des essais rigoureux ne corroboré à ce jour ces pistes, estimant donc que la portée médicale du jeûne demeure théorique. Le rapport souligne néanmoins la grande difficulté à réaliser des essais conformes aux méthodologies en vigueur.
Arrêter partiellement ou non de s’alimenter résulte en effet d’un cheminement personnel peu aisé à intégrer dans le cadre d’un essai clinique randomisé. Et il est difficile d’évaluer cette pratique en écartant sa dimension psychologique (recherche du bien-être, diminution du stress ou amélioration de l’hygiène de vie).
Décryptage des mécanismes à l’œuvre.
Les phases d’un jeûne type
Phase 1 (Jour 1), le manque de glucose
L’organisme a surtout besoin de glucose, fourni par les sucres simples (sucre, fruits) et surtout les sucres complexes (céréales, féculents). Mais ses réserves, stockées sous forme de glycogène dans le foie, sont de courte durée. « Nous disposons à peine de quoi tenir un jour, soit environ 200 g de glucose,dont la moitié est utilisée par le cerveau », précise Laurence Plumey, médecin nutritionniste (Paris).
Une fois ces réserves épuisées la glycémie (taux de sucre dans le sang) diminue. Le cerveau envoie alors un signal au corps que l’on pourrait traduire par : « Urgence! Adapte-toi! » Il libère aussitôt des hormones (cortisone et adrénaline) pour restaurer la glycémie et ouvre des voies de secours (voir phases 2 et 3). Cet état de stress dure de un à plusieurs jours. C’est un moment pénible qui entraîne « une sorte d’inquiétude », admet Françoise Wilhelmi de Toledo, directrice médicale d’une clinique spécialisée en Allemagne dans son ouvrage L’Art de jeûner : « [les jeûneurs] dorment mal. Le jour suivant, ils se sentent fatigués, la tension artérielle baisse et un état un peu apathique peut s’installer ». Peuvent s’ajouter des maux de tête, des nausées ou des brûlures d’estomac, si les sécrétions acides et biliaires restent abondantes.
Phase 2 (J2 à J5), perte protéique et fonte musculaire.
Au bout de vingt quatre heures, glucose et glycogène sont épuisés. La plupart des cellules et organes vont alors puiser dans les réserves de graisses stockées dans le tissu adipeux, soit une dizaine de kilos chez un adulte de poids moyen. Celles-ci commencent dès lors à fondre (300 g par jour), tandis que se normalisent certaines valeurs biologiques chez les personnes en surpoids (taux de LDL—cholestérol ou de triglycérides). Mais certains tissus (cellules du sang, de la moelle osseuse et du cerveau), qualifiés de « glucodépendants », ne s’accommodent pas de ce « plan B ». Une voie métabolique annexe (néoglucogenèse) se met alors en place afin de fabriquer l’indispensable sucre à partir d’acides gras (issus des réserves de graisses) et surtout d’acides aminés (issus des protéines).nnnn Si le stock de graisses permet de « voir venir », les réserves en protéines atteignent, elles, à peine le tiers, soit environ 3 kg.nnnn Les muscles, composés à hauteur de 20 % de protéines, sont alors rudement mis à contribution, mais, au final, tout l’organisme est concerné : « Les protéines étant partout, s’y attaquer revient à puiser dans le foie, le tube digestif ou le système de défense immunitaire », précise le Pr Luc Cynober, du service de biochimie de l’hôpital Cochin (Paris). En cas de jeûne total, la fonte protéinique peut atteindre 250 grammes par jour et le risque de dénutrition est important. Pour nourrir les organes glucodépendants, le jeûne partiel, pratiqué en cliniques spécialisées, comprend la prise d’un petit verre de jus de fruit et d’une coupelle de miel chaque jour. Ces apports suffisent à épargner les protéines « à condition qu’ils atteignent 150 g de glucose par jour. Or la plupart du temps ils ne sont que de 45 g environ », explique Laurence Plumey. Pas de quoi s’affoler pour Françoise Wilhelmi de Toledo selon qui le corps trouve là l’occasion de « recycler » les protéines « usées ».
Un argument discutable pour Laurence Plumey : « Il est vrai que notre stock de protéines se renouvelle en permanence. Mais en accélérant leur “autophagie”, on augmente surtout la production de déchets azotés (urée, acide urique, ammoniaque) qui peuvent provoquer des crises de goutte ou des coliques néphrétiques ».
Mieux vaut donc boire beaucoup pour favoriser le travail des reins, et s’abstenir de jeûner si l’on est insuffisant rénal.
Phase 3 (après J5 et avant J40), l’euphorie des corps cétoniques.
Au bout de cinq jours environ, le corps se refuse à piocher davantage dans les protéines. Une voie métabolique qui s’était discrètement mise en route au bout de 24 heures de jeûne devient primordiale : la cétogenèse. Foie et reins produisent des corps cétoniques à partir des acides gras qui permettent de freiner la fonte des protéines. Relargués dans la circulation, ces corps cétoniques sont en effet utilisés en lieu et place du glucose par le cerveau. Ce sont même de puissants stimulants qui aiguisent sa vigilance et mettent un terme à la sensation de faim. Ce confort retrouvé s’ajoute à la production, commencée plusieurs jours auparavant, d’hormones stimulantes (cortisol, adrénaline, endorphine). Un cocktail euphorisant recherché dans les jeûnes mystiques comme voie d’entrée vers la transcendance.
Gare à ne pas se laisser griser trop longtemps par l’effet cétonique ! Effectuer un jeûne, c’est aussi savoir y mettre un terme.
C’est pourquoi les diètes excèdent rarement une dizaine de jours. Au—delà, les risques peuvent être vitaux. La physiologie de cette phase terminale — à l’issue fatale — a été étudiée uniquement chez l’animal et survient quand il ne reste plus que 20 % de réserves lipidiques. Le corps brûle alors ses dernières cartouches : la fonte protéique augmente brusquement, la concentration de glucose dans le sang s’élève à nouveau tandis que celles d’acides gras et de corps cétoniques s’effondrent. Cette phase serait sous—tendue par la nécessaire reprise d’une activité motrice pour chercher de la nourriture. Chez l’homme, des expériences tragiques ont montré qu’elle conduit à la mort au—delà de quarante jours en moyenne.
Phase 4 : la reprise, un moment délicat.
La réalimentation est une étape délicate pour éviter une reprise de poids rapide. L’alternance de restriction et compensation (« effet yoyo ») stimule en effet le stockage des graisses. En outre, « passé 70 ans, les voies qui permettent de recréer des protéines sont moins performantes », prévient le Dr Lecerf. « À un certain âge mieux vaut donc ne pas jeûner plus de 24 heures et éviter d’y associer de l’activité physique ».
Le jeûne en huit questions.
Existe-t-il plusieurs types de jeûnes?
On différencie le jeûne complet ou hydrique, où seule l’eau est permise, du jeûne partiel qui apporte autour de 300 kcal/jour. On distingue également jeûnes continu et intermittent (comme le ramadan).
Qu'est-ce que la méthode Buchinger ?
Ce jeûne partiel continu dure de 7 à 21 jours en moyenne. À base de jus et de bouillons filtrés (250 à 300 kcal/J), il a été mis au point par le Dr Otto Buchinger en 1917.
Tout le monde peut-il jeûner ?
Il est contre-indiqué aux mineurs, femmes enceintes, insuffisants hépatiques et rénaux, anorexiques, et en cas d’hyperthyroïdie ou d’artériosclérose. Les cliniques spécialisées ne le pratiquent pas en cas de cancer.
Faut-il boire de l'eau ?
C’est indispensable ! La privation d’eau conduit à la mort en quelques jours. Il est recommandé de boire 2,5 litres d’eau par jour sous forme d’eau, de bouillon, de jus, de tisanes Combien de temps peut-on jeûner ?
Les pratiques encadrées excèdent rarement quatre semaines. Le record, sous contrôle médical, est détenu par un Écossais, Angus Barbieri, qui de 1965 à 1966 a jeûné 382 jours, passant de 207 à 82 kg.
Le jeûne provoque-t-il des carences ?
Si l’alimentation antérieure a été équilibrée, l’organisme possède des réserves en vitamines et minéraux suffisantes pour « tenir» quelques semaines.
Références
(l) Michalsen et al. 2005 Biomedcentral Complementary and alternative medicine, Abendroth et al. Forschende Komplementärrmedizin 2010, Huber et al. Nutrition, metabolism and cardiovascular diseases, 2005.
(2) Évaluation de l’efficacité de la pratique du jeûne comme pratique à visée préventive ou thérapeutique. rapport de l'inserm, janvier 2014.
Source :
Sciences et Avenir juin 2015 n° 820
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