L’effet placebo, comment ça marche?
S’il est souvent moqué, son efficacité est pourtant démontrée chez l’homme, et son potentiel thérapeutique encore bien trop peu mis à profit.
La prescription d’un traitement placebo pose un problème éthique aux médecins.
La migraine vous enserre le crâne.
Vous prenez un cachet d’aspirine, et dix minutes plus tard, vous vous sentez déjà mieux. Pourtant le comprimé n’y est pour rien: il est encore dans votre estomac! Le soulagement que vous ressentez est la parfaite démonstration de ce que l’on appelle l’effet placebo. Il correspond à une efficacité accrue du traitement par rapport à ce qui était attendu du seul fait du principe actif. Le terme vient de la forme verbale latine signifiant «je plairai» et souligne le fait qu’un médicament placebo est davantage prescrit pour plaire au patient que pour le guérir. Mais attention, nuance sémantique, «l’effet placebo est à distinguer du placebo en lui—même, qui est le nom donné à une substance sans effet pharmacologique comme l’amidon ou le saccharose dispensée dans un but thérapeutique », précise le psychiatre Patrick Lemoine, auteur du livre le Mystère du placebo (éd. Odile Jacob).
Tout traitement a une action en partie psychologique.
L’effet placebo agit chaque fois que nous prenons un traitement. L’impact d’un médicament résulte de son principe actif (l’action pharmacologique) et de l’effet psychologique ou placebo qu’il produit. « On peut en faire la démonstration par l’inverse grâce à l’administration cachée de médicaments, c’est-à-dire sans que le patient le sache. L’action de la thérapie est réduite car le malade n’en attend rien», explique Fabrizio Benedetti, professeur de neurosciences à la faculté de médecine de Turin (Italie). Cet effet est si fort que certains médicaments sont inefficaces lorsqu’ils sont administrés sans en avertir le patient. « Cela signifie que ce qui compte n’est pas seulement le traitement en lui-même, mais bien le rituel qui accompagne son administration», complète Fabrizio Benedetti. La solennité de la consultation, la précision de l’ordonnance et de la posologie prescrite jouent aussi.
L’intensité de l’effet placebo varie beaucoup d’une maladie à l’autre. Dans les différentes études, son efficacité est évaluée de 4 à 83 % selon les symptômes et les critères retenus. Quand le patient est soumis à un stimulus douloureux dans le cadre d’une expérience scientifique, le corps n’a aucune raison de mettre en place des mécanismes pour contrôler cette douleur puisqu’il lui suffit d’un signe à l’expérimentateur pour qu’elle cesse. Résultat: on n’obtient que 4 % d’efficacité si l’on donne un antidouleur placebo. A l’opposé, le placebo est très efficace pour traiter la douleur ou l’insomnie, probablement en raison de la forte composante émotionnelle de ces affections, et du degré d’attente du patient.
La recherche sur le placebo est assez récente et très peu développée en France. «Pendant de nombreuses années, le placebo m’intéressait personne puisqu’il n’est pas pharmacologiquement actif», souligne le Pr Amir Raz, titulaire de la chaire de recherche en neuroscience cognitive de l’université McGill à Montréal. « L’effet placebo garde d’ailleurs une connotation péjorative et souffre d’un manque de légitimité auprès de la communauté médicale comme auprès des patients.» Pourtant, nos corps ne sont pas uniquement gouvernés par des facteurs biologiques. En tant qu’êtres sociaux, les interactions avec les autres individus et avec l’environnement sont autant de paramètres qui peuvent influer notre physiologie. Autant « d’effets placebo qui ne sont pas nommés », souligne Amir Raz.
Il déclenche des mécanismes chimiques dans le cerveau.
À l’image du principe actif d’un médicament, le placebo opère sur les voies biologiques de notre organisme et déclenche des mécanismes neuro-chimiques dans le cerveau. En effet, s’il est inerte sur le plan pharmacologique, «ce n’est pas pour cela qu’il n’entraîne pas d’effets», insiste Amir Raz. «L’effet placebo fait partie des effets thérapeutiques», renchérit Pierre Rainville, directeur du Laboratoire de recherche en neuropsychologie de la douleur à l’université de Montréal. «Cela a été très bien démontré. En postopératoire par exemple, lorsque l’on pose une perfusion pour donner des antidouleurs, il y a un bénéfice à indiquer au patient le moment où le traitement commence. L’effet analgésique sera alors plus fort et plus rapide, sans que l’on puisse l’expliquer par l’administration de l’agent pharmacologique en lui-même: c’est du pur effet placebo.»
a majorité des connaissances sur le placebo proviennent de l’analgésie (traitement de la douleur), impliquant la sécrétion d’opioïdes et de cannabinoïdes endogènes — la production d’antidouleurs naturels par le cerveau. Un placebo d’antalgique engendre lui aussi dans le cerveau la sécrétion de ces antalgiques naturels Autre exemple, chez les patients atteints de Parkinson, maladie caractérisée par une destruction des neurones producteurs de dopamine, l’effet du placebo a été bien documenté: les études scientifiques ont mis en évidence que le placebo de dopamine augmentait la libération de celle—ci par les neurones non touchés, et entraînait donc une amélioration des symptômes de la maladie. De la même façon, dans la dépression légère, les antidépresseurs placebos modifient l’activité cérébrale dans les mêmes zones et avec la même intensité que certains vrais antidépresseurs.
Pour produire cet effet placebo, plusieurs mécanismes psychologiques sont à l’œuvre. «Il peut être induit par un conditionnement du patient conscient ou non, lié à des rituels ou à son histoire personnelle ou être influencé par les attentes du malade », analyse Pierre Rainville. L’équipe de Fabrizio Benedetti a ainsi mis en évidence un effet de conditionnement capable de générer une réponse hormonale. Chaque jour, une dose de sumatriptan, contre la migraine, a été administrée à un groupe de participants. L’un des effets observés a été la diminution de sécrétion du cortsol, l’hormone du stress. Le quatrième jour, la dose de traitement a été remplacée par un placebo: le même changement hormonal — de moindre amplitude — a été retrouvé.
Il n’est pas nécessaire d’y croire pour y être sensible.
« Contrairement aux idées reçues, si vous donnez un placebo en expliquant ce que c’est, des mécanismes inconscients peuvent tout de même être à l’œuvre et induire des réponses placebo substantielles », affirme Fabrizio Benedetti. C’est ce qui s’est passé en 2016 dans le cadre d’une étude menée au Portugal. Une centaine de patients souffrant de douleurs de dos depuis plus de trois mois ont pris, en connaissance de cause, un placebo en plus de leurs anti—inflammatoires. Au bout de quelques jours, ils ont vu leurs douleurs diminuer significativement alors que ceux qui ne prenaient que les anti-inflammatoires n’ont pas noté d’évolution. « L’effet dépend moins des attentes du patient que de celles du médecin, explique le Dr Lemoine. Inconsciemment, le patient capte l’attitude du médecin.» Un médecin enthousiaste va pouvoir induire un effet positif chez le patient en lui communiquant sa confiance dans l’efficacité du traitement.
«L’attitude du praticien est probablement la condition minimale essentielle pour permettre l’expression de l’effet placebo, corrobore Pierre Rainville. Le discours du médecin doit être adapté à la personnalité du malade, aux rituels d’administration qu’il a déjà connus, qui le mettent en confiance et qui ont déjà débouché sur un succès.» A la tête d’un programme multidisciplinaire rattaché à l’université de Harvard, Ted Kaptchuk a ainsi étudié l’administration de façon ouverte de placebo (médecin et patient savent qu’il en est un) à des patients souffrant du syndrome du côlon irritable, un trouble du fonctionnement de l’intestin, pendant vingt-et-un jours. Résultat : le placebo a permis de réduire de façon significative la sévérité des symptômes.
Avec l‘homéopathie on optimise l’effet placebo.
L’homéopathie est plébiscitée par bon nombre de Français. Selon l’Ordre des médecins, 56 % d’entre eux y ont déjà eu recours. Pourtant «les granules homéopathiques sont préparés par tant de dilutions successives d’une substance active qu’ils n’en contiennent plus ou presque. Par exemple, une dilution 5 CH correspond à une goutte de principe actif pour 10 milliards de gouttes d’eau, l’équivalent d’un demi de bière déversé dans 10 piscines olympiques. Pour le Dr Patrick Lemoine, cela prouve que les homéopathes sont ceux qui savent le mieux mettre en œuvre l’effet placebo. « Ils ont tout compris des facteurs qui l’optimisent: des consultations plus longues, des honoraires parfois plus élevés, une vision holistique de l’humain, un partage des connaissances, des formes galéniques (les formes sous lesquelles se présentent les médicaments) particulières. .. » Mais comme le résume Amir Raz, «toute la difficulté avec l’homéopathie consiste à savoir quand et comment l’utiliser sans risque». Le chercheur Pierre Rainville rappelle en effet « qu’il n’existe pas de démonstration scientifique de maladie qui ait été guérie par un placebo ». Autrement dit, un traitement placebo peut soulager des symptômes de douleur, d’anxiété ou de stress, mais il ne peut pas se substituer à une chimiothérapie pour lutter contre un cancer ou un traitement antibiotique pour guérir une angine infectieuse.
Mon interrogation : les bovins soignés avec succès avec des doses homéopathique : placebo ou non ???
Les granules de la discorde.
Depuis la publication d'une tribune virulente dans le Figaro en mars dernier, l’homéopathie fait débat : absence totale d’effet ou effet placebo? Les professionnels de santé et les experts sont divisés.
Les médecins pourraient mieux utiliser ce mécanisme.
«En France, nous n’avons pas d’apprentissage de l’effet placebo, regrette le Dr Patrick Lemoine. Il manque une éducation du médecin, pour qu’il adopte une attitude optimiste et non sceptique sur les traitements qu’il prescrit.» Car «même un traitement actif peut voir son effet diminué si le patient le pense inefficace», appuie Pierre Rainville. Dans le domaine de la douleur, par exemple, les équipes sont de plus en plus conscientes du choix des mots. Il s’agit d’éviter d’insister sur le fait qu’une douleur aiguë sera ressentie lors d’une intervention, mais plutôt de rassurer la personne en lui disant que tout sera fait pour qu’elle souffre le moins possible. « Quelqu’un qui écoute, qui rassure, qui fait attention à vous, c’est très important dans le soin, souligne le Pr Amir Raz. Nous avons tendance à l’oublier et à ne compter que sur les médicaments.
Prenons le cas des placebos d’antidépresseurs qui ont une très bonne efficacité sans effets secondaires ni accoutumance : ne serait-il pas judicieux de les substituer aux médicaments ? Les médecins sont encore réticents. Une étude menée en 2011 auprès de 1 000 généralistes de la région Rhône- Alpes traduit bien la position délicate du corps médical: 58 % d’entre eux considèrent prescrire des traitements contre la fatigue avant tout pour obtenir un effet placebo, mais seul un médecin sur trois se déclare favorable à la prescription d’un traitement placebo comme leurre thérapeutique.
« Les médecins n’aiment pas les placebos. Ce n’est pas un jugement scientifique puisqu’ils ont fait leurs preuves, c’est un jugement éthique », affirme Ted Kaptchuk.
L’utilisation de l’effet placebo ou la prescription d’un traitement placebo pose en effet de nombreuses questions. « Est-on autorisé à mentir au patient? A-t-on besoin de son consentement? La prescription d’un placebo peut entraîner des situations propices au dérapage», souligne Amir Raz.
D’ailleurs, les règles varient d’un pays à l’autre. Aux Etats-Unis, il est interdit de prescrire un traitement placebo alors que c’est légal en Allemagne ou au Canada, mais toutefois peu pratiqué. Pourtant, les mentalités semblent évoluer lentement mais sûrement. «Bien entendu, cela soulève des questions par rapport à l’éthique de la vérité dans notre communication avec le patient et à son consentement éclairé», estime Pierre Rainville. Quant à Amir Raz, il est convaincu qu’en expliquant au patient les enjeux de son traitement, «l’effet placebo peut être alimenté, cultivé par un praticien informé qui sait l’exploiter». Il a d’ ailleurs commencé à l’enseigner à l’école de médecine de l’université McGill.
Nocebo : quand l’effet inverse est constaté.
C’est l’effet opposé du placebo: une baisse d’efficacité, ou bien des effets secondaires non expliqués par le médicament lui-même. Démonstration avec deux groupes de patients traités pour une hypertrophie bénigne de la prostate. Les patients informés que le médicament pouvait produire des effets secondaires sur la sexualité ont déclaré trois fois plus d’effets secondaires que ceux qui l’ignoraient. Cet effet nocebo minimise l'efficacité des traitements et «active des mécanismes anticipés d'anxiété, en stimulant la production dans le cerveau de cholécystokinine, un neurotransmetteur qui amplifie la douleur», précise Fabrizio Benedetti. Comme il provoque des effets négatifs, il est peu étudié: il est difficile de justifier le faire subir à des volontaires!
Le cerveau réagit aux antalgiques placebos Dans cette expérience, le patient est placé dans un appareil d’lRM fonctionnelle et reçoit des stimulations électriques douloureuses au niveau de la main. L’administration d’un antalgique placebo provoque l'activation, ici en rouge et en jaune, de différentes zones du cerveau (dont le cortex préfrontal et la substance grise périaqueducale). Celles-ci sont connues pour leur implication dans le contrôle de la douleur.