Après la mise en cause de l'aspartame, soupçonné d'être potentiellement cancérogène, le rebaudioside A, issu d'une plante, la stevia, séduit les consommateurs. Est-ce justifié ?
L' aspartame (E95) est sur la sellette. L'édulcorant de synthèse le plus consommé au monde, qui a fait depuis les années 1980 le bonheur de l'industrie du « light », est, certes, toujours estampillé « sans risque » par l'Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses). Mais deux études ont récemment provoqué une onde de choc. Au point que la date de réévaluation de son innocuité a été ramenée de 2020 à mars 2012. Parallèlement, la stévia, une plante originaire du Paraguay et initialement consommée par les Indiens Guarani pour son pouvoir sucrant, se pose en remplaçante à l'heure où sain ne rime plus avec allégé mais avec naturel dans l'esprit des consommateurs. Alors que la France a fait figure de pionnière en autorisant dès 2009 l'extrait sucrant de la plante, le rebaudioside A, le marché s'étend depuis décembre à toute l'Europe pour la famille des glycosides de stéviol (E960). Dans l'Hexagone, cet extrait « naturel » pourrait bien porter l'estocade aux édulcorants de synthèse à la suite du projet de lois de taxation sur les sodas. S'appliquant initialement aux seules boissons sucrées, cette mesure devrait finalement s'étendre aux boissons sans sucre à base d'édulcorants de synthèse. Une aubaine pour la stévia qui devrait attirer la convoitise des industriels soucieux d'économiser une taxe s'élevant à 11 centimes pour une bouteille de 1,5 litre et plus de 2 centimes par canette. Si aucune boisson 100 40 édulcorant naturel n'est encore disponible sur le marché, gageons que cette nouvelle donne fiscale va donner à l'industrie concernée le goût de l’innovation
Deux types d'édulcorants coexistent. Les premiers, qualifiés « de masse » ou « de charge », sont des molécules glucidiques, naturelles ou de synthèse. Ils appartiennent à la famille des polyols ou sucres alcooliques, appelés ainsi en raison de la présence d'un radical alcool dans leur structure chimique. Les plus courants sont le sorbitol, le xylitol, le malitol, le mannitol et l'isomalt qui possèdent un pouvoir sucrant inférieur ou égal à celui du saccharose (sucre), allant de 0,6 à 1. Les polyols sont également moins caloriques que le saccharose (1.5 à 3 kilocalories contre 4 kcal du fait d'une résorption intestinale incomplète. Les seconds, les édulcorants dits intenses, ont un fort pouvoir sucrant. Leur apport calorique aux doses couramment utilisées est négligeable. Les plus utilisés sont l'aspartame (pouvoir sucrant 180), la saccharine (350), la sucralose (600) et enfin le rebauclioside A (300). Ce dernier, contrairement aux précédents, n'est pas synthétique mais extrait d'une plante, la stévia.
Les polyols ne sont pas cariogènes, c'est-à-dire qu'ils ne favorisent pas l'apparition de caries dentaires contrairement au saccharose. Faiblement transformés en acides par les bactéries de la bouche, ils ne diminuent pas le pH de la plaque dentaire, phénomène pouvant conduire à la déminéralisation des dents et à l'apparition de caries. En 2011, l'EFSA, l'Autorité européenne de sécurité des aliments, en a même conclu que les aliments utilisant des polyols, qui limitent en outre la consommation de sucres, pouvaient apposer sur leurs emballages les allégations « non cario-génique » ou « n'augmente pas la dégradation dentaire ».
Ils peuvent accélérer le transit,
du moins pour les polyols. Leurs édulcorants n'étant que partiellement digérés par notre organisme, une consommation excessive de ces sucres alcooliques peut toutefois produire des flatulences ou à un effet laxatif. Aussi, une directive européenne oblige-t-elle les fabricants à orner les aliments en contenant plus de 10 % d'un message d'avertissement.
Les édulcorants n'ont pas ou peu d'action sur la glycémie. L'indice glycémique des édulcorants intenses est quasi nul, tandis que celui des édulcorants de masse est bas. Ils n'augmentent donc pas ou peu la production pancréatique d'insuline, dont le rôle est de réguler le taux de glucose dans le sang, mais qui, à forte dose, favorise le stockage des graisses et la prise de poids.
Ils entretiennent l'appétence pour les saveurs sucrées si leur consommation est répétitive. De plus, l'étiquetage « sans sucre », autorisé si le produit de consommation ne contient pas de saccharose, n'exclut pas la présence d'autres glucides comme en contiennent les farines blanches des biscuits. Il donne donc une connotation de produits diététiques à des aliments qui ne le sont pas, et peuvent ainsi conduire à leur surconsommation.
Leur pouvoir cancérogène est controversé Depuis le début de leur mise en circulation, les édulcorants sont régulièrement accusés de provoquer des effets secondaires chez l'homme. La saccharine, un temps suspecté, a finalement été retirée en 2000 de la liste des produits cancérogènes par le ministère américain de la Santé. Quant à l'aspartame, bien que deux études récentes le mettent en cause dans l'apparition de cancers et des accouchements prématurés. l'EFSA considère que sa consommation est sans danger Le rebaudioside A apparaît comme une alternative naturelle, mais il ne bénéficie pas d’études sur sa consommation à long cours. Seule celle de stevia sous forme d’extraits est autorisée. La plante est cependant disponible dans les jardineries pour un usage ornemental sans contrôles sur la toxicité éventuelle de sa consommation ni sur les pesticides présents sur ces feuilles que pourraient consommer les plus imprudents séduits par sa vogue.
40 mg/kg de poids corporel
C'est la dose journalière acceptable (DJA) de l'aspartame. Une valeur fixée en 1985 par les autorités sanitaires américaines (FDA) et dont plusieurs parlementaires européens ou associations comme Réseau environnement santé (RES) et Générations futures demandent la réévaluation. L'Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) devrait le faire d'ici à mars. Pour comparaison. la DJA du rebaudioside A a été fixée à 4 mg/kg de poids corporel.
Consommé en quantité raisonnable [voir supra], les édulcorants ne sont pas dangereux pour la santé. En revanche, l'exclusion totale des sucres, comme le stipulent certains régimes, est très mauvaise pour notre organisme. Certes, l'ingestion de glucose n'est pas indispensable à notre survie, car notre corps peut en fabriquer grâce à un phénomène appelé néoglucogenèse [lire lexique]. Mais ce processus de secours n'est pas censé être sollicité sur le long terme et les restrictions trop prolongées peuvent mener à l'hypoglycémie et à l'épuisement de l'organisme qui manque alors d'apport énergétique.»
JEAN-MICHEL LECERF, chef du service nutrition de l'Institut Pasteur de Lille
LEXIQUE
Néoglucogénèse : formation de glycogène (chaîne de glucoses) par l'organisme, principalement dans le foie, à partir d'acides aminés et de lipides.
Indice glycémique (IG) : indice qui classe les aliments en fonction de leur capacité à élever le taux de sucre dans le sang. L’IG du glucose, pris comme référence est de 100. Celui du saccharose de 58, celui de la stevia de 0.
Pouvoir sucrant : il représente la valeur sucrante d'un composé chimique par rapport à une solution de saccharose, dont le pouvoir sucrant est égal par définition à 1. Ce rapport entre deux quantités est évalué entre deux solutions qui développent la même intensité sucrée.
SOURCE : Sciences et Avenir février 2012
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