Faut-il se méfier du compteur Linky?
D'ici à 2021, 90% des foyers devraient être équipés de cet appareil. Entre fantasme et réalité, le déploiement du fameux boîtier électrique communicant pose de nombreuses questions Plus de 7 millions de compteurs «intelligents » Linky ont été installés depuis décembre 2015, et la grogne ne fait que s'intensifier.
Dangereux pour la santé, trop cher et sans contrepartie pour le client, espion infiltré dans nos foyers... Rumeurs infondées et inquiétudes légitimes vont bon train, les unes relayées par les sites conspirationnistes et les autres par des associations de consommateurs.
Huit questions pour vous faire une idée...
1 Comment fonctionne-t-il ?
Avec un compteur classique, les consommations doivent être relevées une ou deux fois par an par un technicien. Avec Linky, c'est automatique. Enedis, l'organisme qui gère le réseau d'électricité en France, reçoit directement la consommation électrique journalière du foyer où est installé le compteur. Ces données sont transmises via les mêmes câbles qui acheminent l'électricité, grâce à une technique appelée courant porteur en ligne (CPL). Cette technologie vieille de 50 ans est déjà utilisée, par exemple, pour connecter une box Internet à la télévision. Le CPL permet aussi d'envoyer à distance des instructions au compteur. L'entreprise espère ainsi économiser les frais de déplacement d'un technicien lors de la mise en service d'un compteur, pour en modifier la puissance ou relever les consommations. Linky possède en outre un capteur qui envoie un message à Enedis si le boîtier est ouvert, signalant une éventuelle fraude.
2 Est-il dangereux pour la santé ?
C'est l'une des critiques les plus virulentes : le compteur émettrait en permanence des « ondes électromagnétiques potentiellement cancé-rogènes». Principal facteur mis en cause, le CPL. Si cette technologie génère bien des champs électromagnétiques, selon les mesures de l'Agence nationale des fréquences (ANFR), ceux-ci sont 100 fois inférieurs aux normes en vigueur, et indétectables à plus de 30 centimètres de l'appareil. En option payante, le compteur peut être équipé d'un émetteur radio Linky (ERL), qui permet de communiquer par ondes radio avec les autres équipements connectés du logement (radiateurs, ballon d'eau chaude...). La technologie utilisée ici, Zigbee, est similaire au protocole Bluetooth, dont la portée est d'une dizaine de mètres. L'Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses) a publié fin 2016 un rapport concluant à l'innocuité du système Zigbee. Quant aux ondes émises par le compteur lui-même, elles sont en tout point comparables à celles émises par n'importe quel appareil électrique (grille-pain, fer à repasser, bouilloire...). Elles ne présentent donc pas de risque sanitaire avéré.
3 peut-il nous espionner ?
À l'instar des anciens compteurs, il mesure uniquement la consommation électrique totale d'un habitat, sans pouvoir déterminer — théoriquement — quels appareils ont été utilisés. Mais il a fallu brider Linky. Car il peut en effet procéder à l'enregistrement des consommations électriques plusieurs fois par jour. Il est alors aisé pour la société qui a accès à ces données de définir l'heure à laquelle vous êtes rentré chez vous, quand vous avez utilisé le four à micro-ondes ou le lave-linge, et à quelle heure vous vous êtes couché... La Commission nationale de l'informatique et des libertés (Cnil) a donc imposé en 2012 que la période entre deux relevés soit au minimum de dix minutes. Au-delà de cet intervalle de temps, la Cnil considère que l'identification de l'équipement électrique en fonction de la puissance et de la durée d'utilisation n'est plus possible. Par ailleurs, la communication et la vente de ces données à un tiers doivent être soumises à l'accord de l'utilisateur. Quant aux risques de piratage, Enedis assure que ces données sont chiffrées et leur stockage sécurisé.
4 Contient-il vraiment une caméra ?
En mai 2016, une vidéo du site parodique Science Info affirmait que Linky était doté d'une caméra espion. Sensible aux infrarouges, celle-ci serait même capable de pister les habitants à travers les murs... Le reportage était un canular, mais il a été pris au pied de la lettre par certains usagers. L'association de consommateurs UFC-Que choisir a ainsi reçu des demandes pour un Scotch spécial dans le but d'obstruer l'œil de l'espion, comme c'était mentionné dans la vidéo. Mais rien de tout cela n'est vrai. Ladite caméra n'est qu'une simple diode qui clignote en fonction de la consommation.
Six entreprises spécialisées fabriquent les 35 millions de compteurs Linky pour le groupe Enedis. Le coût de revient de chaque appareil varie de 30 à 40 euros selon le modèle.
5 Ce dispositif est-il au point ?
Selon l'UFC-Que choisir, un quart des 7 millions de foyers déjà équipés par Linky a signalé des problèmes les jours suivant l'installation. Et la liste des dysfonctionnements est longue : coupures de box Internet, fours se mettant en marche tout seul, ballons d'eau chaude fonctionnant à plein régime en dehors des heures creuses... Ces problèmes semblent résulter du mauvais paramétrage des protocoles de communication entre Linky et les appareils connectés. Les fédéra-fions de consommateurs pointent du doigt le travail bâclé des techniciens, sommés d'installer dix compteurs par jour. Pour garantir le remplacement des 35 millions de compteurs en France, Enedis a en effet recruté du personnel inexpérimenté formé en accéléré. L'entreprise a toutefois reconnu que des problèmes de sertissage de câbles avaient causé huit départs de feu (sur 300 000 compteurs posés) pendant la période d'essai, entre mars 2010 et mars 2011. Mais son porte-parole minimise, en faisant remarquer que ce pourcentage est très faible, comparé aux 55 000 incendies d'origine électrique qui se déclarent chaque année, en particulier l'hiver. Selon Enedis, les incidents ne seraient donc pas propres à une défectuosité spécifique de Linky, mais plutôt à des problèmes ordinaires comme le branchement de trop d'appareils sur une prise multiple.
6 coûte-t-il plus cher que l’ancien ?
Dans l'immédiat, non, mais cela dépendra des économies générées ou non par Linky. Le coût du programme — 5,7 milliards d'euros, soit environ 130 euros par compteur —est pris en charge presque dans sa totalité par Enedis jusqu'en 2021. À cette échéance, la facture du consom-mateur intégrera le coût de cet investissement. Mais, au même moment, le client devrait bénéficier de réductions de coûts réalisées grâce à une meilleure gestion du réseau : celles-ci devraient rentabiliser l'investissement et compenser l'augmentation de la facture pour les consommateurs. Un montage financier que met sérieusement en doute la Cour des comptes. Dans un rapport publié en début d'année, elle y dénonce un «dispositif coûteux pour le consommateur, mais avantageux pour Enedis ». La Cour admet le progrès apporté par Linky, mais elle remet en cause le modèle économique. En effet, l'investissement est pour l'instant à la charge du gestionnaire, mais il pourrait retomber sur les particuliers si les bénéfices escomptés sont insuffisants : le surcoût serait imputé aux fournisseurs qui le répercuterait sur les consommateurs.
7 Comment un linky va—t-il permettre de faire des économies ?
Avec les anciens compteurs, la facture mensualisée n'était qu'une estimation basée sur la consommation de l'année précédente. En fin d'année, le relevé tranchait. On réglait alors la différence ou on était remboursé. Avec le relevé Linky quotidien, la facture en fin de mois correspond exactement à la consommation réelle. Quid des économies ? Pour Enedis, le suivi au jour le jour sur un site dédié doit permettre aux consommateurs d'adapter leurs usages — en exploitant les heures creuses, par exemple. A l'appui de cette thèse, une étude du CNRS de 2015 montrait que plus on dispose de renseignements sur sa consommation, moins on consomme ! En théorie, la baisse des dépenses d'électricité pourrait atteindre 23 % pour les foyers les mieux informés. Or rien n'est moins sûr puisque la diminution de la facture repose sur la seule vigilance de l'usager. Le médiateur national de l'énergie et UFC-Que choisir avaient d'ailleurs insisté pour qu'un « écran», affichant en kilowattheures et en euros la consommation en temps réel, soit installé avec le Linky. Mais cette option n'est pour l'instant disponible que pour les foyers précaires. Les autres devront se connecter à leur «espace client» via Internet, pour éplucher quotidiennement leur consommation et l'adapter en conséquence. Une opération fastidieuse. La seule économie assurée est celle que réalisera Enedis en supprimant le déplacement de ses techniciens.
8. peut-on refuser son installation ?
En principe, non. Le compteur n'appartient pas au client, qui doit contractuellement laisser Enedis y accéder. Le refuser revient à s'opposer à une mission de service public. Environ 500 communes ont voté des arrêtés autorisant leurs administrés à refuser Linky, mais ils n'ont aucune justification légale. Refuser Linky expose à se voir facturer les frais relatifs au relevé manuel. Et le jour où le compteur sera hors d'usage, il sera de toute façon remplacé par un compteur communicant, qu'il faudra payer cette fois de sa poche!
SOURCE : Ça m’intéresse mai 2018