Si l'on veut bien comprendre la philosophie du Tao-Te-King, on doit la replacer dans le contexte des conceptions du monde et du rôle que l'homme doit y jouer, qui se sont développées dans un
lointain passé, des siècles avant Lao-Tseu, et que l'on voit s'exprimer dans des ouvrages très anciens tel que le célèbre Yi-King, le «Livre des mutations ». Le titre de cet ouvrage est
significatif : il laisse entrevoir un monde en continuel changement et dont il importe de comprendre le fonctionnement, en vue d'en tirer des règles de comportement, et même, en vertu de la loi
de causalité, de prévoir l'avenir. Ce n'est pas pour rien qu'on utilise ce livre pour la pratique de la divination, si importante dans la tradition taoïste, où l'on parlera volontiers
d'interroger les Pa-Koua, les « huit trigrammes » ci-dessous.
En fait, le Yi-King présente les soixante-quatre combinaisons possibles, quand on place l'un sur l'autre les huit trigrammes fondamentaux. Les trigrammes sont eux-mêmes constitués en combinant trois traits horizontaux continus ou brisés, placés les uns au-dessus des autres. Ces deux sortes de traits symbolisent deux forces fondamentales sans cesse en mouvement et dont les interactions sont à l'origine de tous les êtres, les « dix mille choses », et de l'univers qui les contient : le ciel et la terre, ou, si l'on préfère, l'ordre cosmique et toutes les virtualités contenues dans le sol et génératrices de vie.
Le dessin reproduit ci-après représente l'une des compositions en usage de ce symbole appelé T'ai-tchi et des huit trigrammes.
Le T'ai-tchi consiste en un cercle où semblent se poursuivre deux « têtards » ; l'un est sombre : c'est le Yin ; l'autre est clair: c'est le Yang. Chacun d'eux ouvre un œil de la couleur de l'autre. Leur étroite union souligne leur complémentarité. Dans le dessin reproduit, on voit au sommet le maximum d'ombre, qui correspond au trigramme des trois traits brisés, entièrement Yin.
Ces deux forces sont désignées par les mots Yang et Yin, le premier correspondant au trait continu et le second au trait brisé. En contemplant les anciens idéogrammes les désignant, on découvre que tous les deux ont un élément commun : un mur, et un élément différent tracé sur la droite :
un soleil dardant ses rayons pour le Yang,
un toit couvrant des volutes de fumée pour le Yin.
Cela signifie que le Yang et le Yin s'opposent comme les deux côtés d'un mur, l'un étant exposé au soleil, tandis que l'autre demeure dans l'ombre.
Le Yang fut considéré comme le principe lumineux, comme le jour où l'on peut agir et travailler, donc comme tout ce qui est clair, actif, positif, fort, élevé, dur, sec, etc. À l'inverse, le Yin devint le symbole de l'ombre, de la nuit où l'on dort, donc aussi du repos, du passif, du négatif, du faible, du bas, du doux, de l'humide, etc.
Les huit trigrammes et, plus encore, les soixante-quatre hexagrammes représentent donc toutes les forces qui agissent en alternant, en s'opposant, en se combinant, en se transformant, en s'unissant ou en se séparant, générant toutes choses et toutes les circonstances de la vie. Les Pa-Koua ornent certains costumes de cérémonie des prêtres taoïstes, où ils entourent un autre symbole illustrant d'une manière géniale le jeu du Yin et du Yang.
En bas, le maximum de lumière voisine avec le trigramme des traits continus, totalement Yang. Les autres trigrammes se répondent deux par deux, l'un étant l'inverse de l'autre, leur trait de base se trouvant à l'intérieur.
Grâce aux numéros, nous pouvons donner à chacun quelques significations qui lui sont liées dans le monde, dans l'homme et dans la famille.
1. Sud : le ciel, la puissance, le père.
2. Sud-est : l'eau dormante, le plaisir, la 3e fille.
3. Est : le feu, la clarté mentale, la 2e fille.
4. Nord-est : la foudre, la force mouvante, le fils aîné.
5. Sud-ouest : la brise, la diplomatie, la fille aînée.
6. Ouest : l'eau courante, la difficulté, le 2e fils.
7. Nord-ouest : la montagne, le repos, le 3€ fils.
8. Nord : la terre, la soumission, la mère.
Une méditation sur le Tai-tchi nous permet de bien comprendre le jeu de va-et-vient du Yang et du Yin : leur poursuite réciproque, leur frottement mutuel et leur mélange engendrent toutes choses et les huit trigrammes en révèlent la progressive apparition. Nous pouvons en outre deviner la mystérieuse règle de ce jeu : c'est cette règle même que nous semble désigner le mot Tao, dont le sens le plus courant est : « chemin, voie », et aussi: «marcher, cheminer, tracer ou suivre une voie ». L'idéogramme archaïque du mot Tao nous montre, sur la gauche, un pied laissant des traces, donc en train de marcher et, sur la droite, un visage pensant, bouillonnant d'idées et de projets.
Sur le plan philosophique, le mot semble suggérer un principe dynamique en activité constante, mystérieusement caché en toutes choses et se manifestant à travers leurs incessantes mutations.
SOURCES :
Tao-Te-King, le livre de la Voie et d la Vertu, Lao-Tseu. Ed Librio
Yi Jing, le livre des changements, Cyrille J-D Javary et Pierre Faure Ed Albin Michel
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