Le portail central de Notre-Dame de Strasbourg est une des grandes clefs de l'ensemble du bâtiment.
Clef de la théologie : Ancien et Nouveau Testament y trouvent une place primordiale, clef de construction : le développement d'axes et de proportions à partir de lui, ordonnent et harmonisent tout l'édifice, enfin clef du chemin intérieur de l'homme : bon nombre d'éléments y sont résumés. Le "pseudo-Tentateur" nous invitait à la Connaissance, la voici maintenant qui commence à soulever son voile.
Tout comme chaque groupe de statues, ce portail délivre un enseignement.
Commençons par la partie basse du portail : les prophètes.
De chaque côté du trumeau, au-dessus des piédroits, vous découvrez un groupe de quatorze statues appelées couramment "les prophètes".
Parmi ces statues, trois d'entre elles se différencient des onze autres : elles ne portent pas de barbe !
Ces différences ne sont pas dues aux facéties des sculpteurs médiévaux. Si trois personnages se démarquent des autres, c'est qu'ils possèdent une particularité qui a toute son importance pour le déroulement de la quête de l'homme. Ces trois prophètes représentent les trois voies d'accès à la Connaissance.
Le sens de lecture du sud au nord et donc tout d'abord rencontrer notre premier prophète imberbe. Celui-ci est situé à l'extrême droite du groupe ; en fait il est le premier prophète rencontré dans le sens de notre marche......
Nous voici en présence d'un jeune homme. Son corps est mince, voire filiforme. A l'inverse, la tête est disproportionnée par rapport à l'ensemble du corps. Il s'agit de "l'intellectuel”.
L'intellectualisme est une voie d'approche de la Connaissance mais reste tout à fait incomplète. C'est une "voie sèche", dans le sens de sécheresse du cœur. Tout demeure dans la tête mais rien ne s'intériorise. L’accomplissement de cette quête ne peut aboutir car il y a absence de transmutation des connaissances intellectuelles en connaissances intérieures. L'homme intellectuel ne pratique pas son enseignement. Il ne passe pas de la lettre à l'acte. Par son psychisme, l'intellectuel se bloque au divin mais, fort de toute sa science, il se croit initié. Bien souvent, il refuse totalement de se remettre en cause et, surtout, de remettre en cause son enseignement.
A gauche du jeune homme, un prophète pointe |'index vers la crucifixion du tympan, semblant ainsi vouloir dire : Si tu ne passes pas par la Croix, tu n’iras pas plus loin dans ta quête. Il suffit d'observer l'expression de tristesse du visage de ce prophète pour comprendre ce qu'il veut dire au jeune homme.
Les sculpteurs auraient donc imagé ici la voie incomplète, celle qui a tendance à rendre le cœur de l'homme vide et froid. La tête est "pleine" (disproportion de taille), et la vie intérieure est pauvre (corps fin).
La voie intellectuelle est également (et surtout) une voie égoïste. Souvent, le pseudo-connaissant garde beaucoup pour lui-même et distribue peu aux autres. En fait, rien n'est accompli sur le plan initiatique car c'est le "moi" qui domine.
Avec le second prophète imberbe, nous approchons un tout autre accès. Ce second prophète se tient près de la porte d'entrée, à gauche de la Vierge à l'Enfant. Nous sommes en présence d'un homme avec une petite tête mais possédant un corps énorme, surtout au niveau du ventre. Cette taille large s'amplifie encore par le drapé du vêtement.
Voici la voie mystique, celle de l'intériorisation pure. Cette voie permet l'accès au divin. Elle entraine directement vers la réintégration. La petite tête signifie que la lettre y est passée mais ne s'y est pas figée. Le corps ample symbolise l'assise et la solidité de la voie ainsi transcendée. Cette accentuation du ventre par les courbes du vêtement est souvent représentée pour de tels personnages, notamment le Christ lui-même. Le monde imagier roman dessinait des spirales à hauteur du ventre. Le Hara des orientaux est fréquemment mis en valeur par des gros ventres (Bouddha, par exemple).
Le symbolisme de cette statue est formel : voici un Connaissant.
La tête est couronnée, donc, il est uni au Ciel. La statue est placée après la crucifixion du tympan (dans le sens de notre cheminement). C'est dire que l'étape de la mort à soi-même est franchie. En outre, la position près de la Porte royale atteste que notre personnage peut pénétrer directement à l'intérieur de la cathédrale parce chemin. Cet homme représente ce que Thérèse de Lisieux appelait "la petite voie d'amour". C’est la voie des grands mystiques et la voie monastique par excellence. Elle permet le contact au divin mais reste difficile à suivre et ne concerne qu'un tout petit nombre en marche vers la sanctification. Ici, tout est donné par la simplicité et la foi. Cette voie manifeste de grands cœurs qui débordent d'amour. Elle peut sembler parfaite en tant que témoignage. Elle est hélas souvent absente des réalités intrinsèques du chemin et aussi des contraintes extérieures du monde contemporain. C’est une voie d'élite et, à ce titre, elle peut être un phare pour guider le "chercheur".
Ésotérisme pur car le mystique ne se soucie pas du pourquoi des choses, il se laisse tout simplement guider par l'Esprit.
C’est une voie de grâce.
Mais alors que deviennent les autres prophètes ?
Il suffit d'observer leurs visages pour s'apercevoir qu'ils n'ont rien compris. Nous sommes en présence de l'exotérisme le plus pur, des gens attachés à la lettre sans vouloir en approfondir et surtout expérimenter le sens.
Les deux prophètes situés à gauche du prophète de la troisième voie parlent tout à fait d'eux-mêmes par leur attitude hagarde. Leurs regards fixent les phylactères d'une manière particulière interrogative : Mais qu'est-ce que je lis ? Je n'y comprends strictement rien.
Nul besoin de qualification en symbolique pour pénétrer la portée de ce groupe de statues.
Encore une fois, les imagiers ont su très fidèlement restituer un message exceptionnel pour l'homme de tous les siècles.
Bibliographie
L'architecture de l'invisible Georges PRAT
Mater Nostra Georges PRAT – Constant SCHOHN
Le chemin de lumière Jean Jacques Meyfroid Ed Coprur
Photos : Michel FERNBACH