Ils voient, ils sentent et ils communiquent....
Sensibles à la lumière, au contact d’un insecte ou aux odeurs, ils ont développé des propriétés que l’on commence tout juste à découvrir
Depuis une dizaine d’années, les recherches laissent entrevoir un monde aux propriétés fascinantes.
Ce n’est pas un hasard si le livre de Peter Wohlleben, forestier allemand, a été traduit en 32 langues. Il y décrit comment «les arbres communiquent olfactivement, visuellement et électriquement».
De là à y voir, comme le fait l’auteur, de l’entraide ou de l’empathie. . .
L’idée fait tiquer les scientifiques. La forêt est souvent perçue comme un univers paisible. En réalité, la compétition entre plantes est permanente. Lorsqu’on est enraciné, capter la lumière, accéder à l’eau, se protéger des prédateurs impose de développer des capacités d’adaptation. Alors, même s’ils ne possèdent pas de langage, les végétaux s’échangent des informations par les voies aériennes, via des composes volatils, et souterraines, via des signaux chimiques. 90 % des végétaux ont leurs racines connectées à des filaments de champignons. Par ce réseau, la plante fournit au champignon l’essentiel de son alimentation sous forme de sucres produits par la photosynthèse. En échange, le champignon lui livre sels, minéraux et eau. La jonction entre les filaments du champignon et les racines de l’arbre se fait à l’aide d’autres plantes et de micro-organsines, selon un directeur de recherche au CNRS. Et si un champignon n’apporte plus assez d’éléments minéraux, l’arbre met fin à cette symbiose, souligne le chercheur. Ce système ne supporte pas la triche ! Rien ne prouve qu’un arbre transmet volontairement une information à un autre arbre, ce qui n’empêche pas l’arbre de capter par exemple le composé volatil émis par son voisin : Les plantes sont opportunistes. Elles tirent parti de toutes les informations qu’elles reçoivent !
Ils sont capables de distinguer les couleurs.
« Dites-vous bien une chose : les plantes vous voient.» La formule du biologiste Daniel Chamovitz, auteur de la Plante et ses sens, n’a rien à voir avec de l’anthropomorphisme. Les plantes, herbacées ou ligneuses, possèdent des photorécepteurs places le plus souvent sur leurs feuilles. Ils sont nombreux : au moins onze types, alors que nous n’en avons que quatre. Grace à eux, un arbre peut perce‘ voir l’intensité de la lumière, sa direction et les heures d’ensoleillement. Certaines espèces, telles que le peuplier ou l’orme, verraient même jusqu’à 3 mètres et en couleur! Les pigments des feuilles absorbent le bleu, le rouge clair et réfléchissent le vert et le rouge foncé. Ainsi, en mesurant la lumière rouge, les phytochromes évaluent la durée d’éclairement journalier. Une information majeure qui permet à un arbre de savoir si nous sommes au printemps, s’il est temps pour lui de fleurir, ou si l’automne arrive et qu’il lui faut préparer la montée en graines.
Ils ont conscience de l’espace que leur « corps » occupe.
La proprioception est pour nous comme un sixième sens. Il nous permet d’appréhender a chaque instant la position de notre corps en trois dimensions. Les végétaux ont eux aussi développé cette capacité. Un arbre perçoit la position de son tronc et de ses branches. En outre, il peut rectifier son allure pour pousser droit malgré des éléments contraires comme le vent ou la neige. «A l’intérieur du tronc et des branches se trouvent des cellules contenant des grains d’amidon qui bougent en fonction de l’inclinaison, détaille Catherine Lenne. On peut comparer ce principe a celui du niveau à bulle du maçon. D’autres cellules perçoivent la courbure. En réaction, l’arbre fabrique du bois qui permet aux fibres de se rétracter ou d’être compressées pour repartir à la verticale.» Les jeunes arbres sont plus doués pour la proprioception qu’un chêne centenaire. En effet, l’écorce s’épaissit avec le temps et devient donc moins souple.
Ils réagissent à la caresse du vent.
Ils ne possèdent pas de terminaisons nerveuses et pourtant les arbres ressentent le contact d’un insecte, d’une goutte d’eau et même la caresse du vent. « Les végétaux n’ont pas un véritable sens tactile mais ils perçoivent les contraintes mécaniques», relativise le chercheur Yves Dessaux. Cette capacité porte un nom : la thigmomorphogénèse. De nombreuses études menées sur des petites plantes le prouvent, mais « ces constatations faites sur les herbacées n’ont pas de raison d’être très différentes pour les ligneux», estime Catherine Lenne. Par exemple, la moindre pression active 2 % des gènes de l’arabette. Quant à la sensitive, elle replie ses folioles les unes après les autres au premier contact, avant que toute la plante n’adopte cette position de repli défensif. Certains végétaux savent même moduler dans le temps cette hypersensibilité, fournissant la réaction appropriée à leur survie. Dans les régions ventées, notamment, les arbres adaptent leur croissance, font plus de bois et des racines plus puissantes pour résister. « C’est pourquoi tuteurer un arbre ne lui rend pas service », indique Catherine Lenne. « Il ne peut pas se mesurer au vent et quand on enlèvera le tuteur, il poussera trop vite en hauteur. »
Ils sentent les parfums émis par leurs voisins végétaux.
Les plantes diffusent un parfum et ce n’est pas juste pour notre plaisir! « Il ne fait aucun doute qu’elles sentent les autres », écrit Daniel Chamovitz. Ces composes organiques volatils (COV) sont des signaux chimiques essentiels pour la communication. Nous ne les percevons pas toujours, mais les végétaux voisins — et plus encore ceux de la même espèce — savent les interpréter. « Des terpènes, du limonène, de l’éthylène. .. Des milliers de COV sont émis par les feuilles mais aussi au niveau racinaire », indique Catherine Fernandez, chercheur au CNRS. « Ces COV circulent car il y a de l’air dans les sols, notamment grâce aux vers de terre. » En 1983, des chercheurs en ont apporté la preuve : un peuplier attaqué par des chenilles produit davantage de tanin, substance amère, afin d’éloigner les parasites. Dans le même temps il émet des COV qui, portés par le vent, seront perçus par ses congénères Ceux-ci produisent à leur tour du tanin à titre préventif. Plus fort : une plante peut émettre des substances qui attirent les prédateurs de ses prédateurs! Ainsi, pour se débarrasser des chenilles qui les envahissent, les ormes et les pins attirent de petites guêpes qui viennent pondre leurs œufs dans le corps des chenilles. «la survie des plantes, mais aussi des insectes pollinisateurs, dépend de cette communication olfactive très fine», explique Catherine Fernandez.
Et sait-on s’ils se « parlent » ?
En tout cas, les arbres émettent des bruits Dans les colonnes qui font monter l’eau dans les troncs claquent des bulles d’air que l’on peut enregistrer. Ces bruits sont-ils perçus et interprétés par la plante elle-même et ses voisines ? Rien ne le prouve. Il n’empêche . . . la sensibilité dont les végétaux font preuve ouvre des horizons dans le domaine agricole. En situation de monoculture, sans l’aide des champignons mycorhiziens, les végétaux communiquent plus difficilement. Des expérimentations visant à «doper» les capacités naturelles sont menées, avec l’objectif de réduire le recours aux pesticides C’est tout le sens de l’agroforesterie qui associe arbres, cultures et/ou animaux sur une même parcelle agricole. La rentabilité parle d’elle-même : quand on inocule certains champignons aux sapins, l’interaction permet d’augmenter de 60 % la production de bois sur les douze premières années !
Source :
Ça m’intéresse n° 436, juin 2017
Pour aller plus loin,
La Vie secrète des arbres Peter Wohlleben, éd. Les Arénes.
La Plante et ses sens, Daniel Chamovitz, éd. Buchet-Chastel.
A quoi pensent les arbres, Jacques Tassin, éd. 0dile Jacob.
Dans la peau d’une plante Catherine Lenne, éd. Belin.
Sur ce site, un peu plus sur les arbres :
- un conte avec l'accord de Pierre ROTHENBURGER, animateur d’Alsace Nature
l'aulne le bouleau le buis le chêne
l'épicéa l'olivier le sapin de Noël
J'ai moi-même photographié tous les arbres présents dans cet article .