Pourtant contraignants, les régimes d’exclusion font l’objet d’un engouement inédit. L’alimentation est-elle en train de tourner à l’obsession ?
24,1 % des Français ont acheté régulièrement en 2017 des produits au rayon traiteur végétal (steaks de soja, nuggets végétaux. . .), contre 13,3 % en 2013. (Sondage Kantar Health)
Votre baguette, avec ou sans gluten ? » Autrefois cantonnée aux épiceries diététiques, la mode du sans gluten, ce complexe de protéines présent dans de nombreuses céréales dont le blé, le seigle et l’orge, a gagné les supermarchés et les boulangeries. Ses adeptes sont de plus en plus nombreux : 5 millions de Français auraient éliminé le gluten de leur alimentation pour éviter des troubles digestifs. Même motif pour les 3 millions qui se détournent des produits laitiers et pour ceux qui adoptent le dernier régime venu des pays anglo-saxons : bannir les «Fodmaps » (acronyme anglais désignant les glucides facilement fermentés par les bactéries du colon, par exemple le fructose, le lactose ou le sorbitol). D’après un sondage IRIworldwide de 2017, un tiers des Européens achèteraient des produits «sans». Pourtant les indications médicales sont rares et ciblées.
La maladie cœliaque interdit l’absorption de gluten.
Éviter le gluten n’est pas simple tant les céréales qui en contiennent sont partout : dans les pâtes, le pain, les gâteaux. .. Et les industriels ont tendance à en rajouter pour plus d’onctuosité. Mais c’est une obligation pour les 1 % de personnes atteintes de maladie cœliaque — une intolérance au gluten qui abime l’intestin et altère l’absorption des nutriments. «La recherche d’anticorps spécifiques dans le sang et une biopsie de l’intestin grêle dont la muqueuse est atrophiée permettent le diagnostic», indique le Pr Thierry Lecomte, gastro-entérologue au CHRU de Tours. Autre cas d’éviction obligatoire : l’allergie au blé, très rare. Ici, le système immunitaire réagit immédiatement au contact des protéines de la céréale (urticaire, asthme, état de choc. . .). Ces deux indications ne suffisent cependant pas à expliquer le succès du sans gluten. « Certaines personnes, ni allergiques ni atteintes de la maladie cœliaque, ressentent ballonnements, maux de ventre ou troubles du transit, qui s’estompent grâce à l’éviction du gluten », complète le spécialiste. Mais pour l’heure, cette hypersensibilité au gluten n’a pas révélé son mécanisme et il n’existe pas de test pour la diagnostiquer. Elle pourrait être liée, entre autres, au syndrome de l’intestin irritable, une pathologie caractérisée par des troubles digestifs fréquents et durables.
L’intolérance au lactose se développe à l’âge adulte.
Parmi les aliments de plus en plus évincés se trouvent aussi les produits laitiers. En cause? Le sucre du lait, le lactose. Ou plutôt les lactases intestinales, les enzymes chargées de sa digestion. Leur efficacité baisse au cours de la vie et laisse le lactose être fermenté par les bactéries intestinales, ce qui peut provoquer gaz et inconfort digestif. L’intolérance peut être révélée par des examens : test d’absorption de lait et test respiratoire. Plus rare, la véritable allergie au lait est un dérèglement du système immunitaire engendré par les protéines de lait de vache essentiellement.
L’intestin irritable s’apaiserait avec la suppression des fodmaps.
Mal digérés, les Fodmaps — ces glucides qui fermentent — provoqueraient gaz, ballonnements et douleurs intestinales. Chez les personnes souffrant du syndrome de l’intestin irritable, les bénéfices liés au régime sans gluten pourraient en réalité venir de la moindre consommation de ces sucres. C’est l’hypothèse défendue par le gastro-entérologue Jean-Marc Sabaté dans son livre Intestin irritable, les raisons de la colère (éd. Larousse).
Problème, les Fodmaps sont partout : dans les fruits, les légumes, les produits laitiers, les céréales... Certes on peut éviter certains aliments déclencheurs comme les fruits secs, les choux ou les préparations riches en fructose, mais il est impossible de vivre sans en ingérer.
Manger sain peut devenir une réelle obsession.
«Attention, suivre des régimes d’éviction stricts sans enquête diététique préalable expose a des carences», prévient le Pr Thierry Lecomte. En supprimant le gluten, par exemple, on consomme moins de céréales complètes, riches en fibres, vitamines B et sels minéraux. A long terme, ce serait préjudiciable pour le cœur, plus exposé aux maladies coronariennes dont l’infarctus, selon une étude américaine de 2017. Les personnes suivant ce régime accumuleraient aussi plus de métaux lourds (mercure, plomb. . .), à cause d’une surconsommation d’aliments contaminés comme le poisson ou le riz. Supprimer un aliment n’est pas forcément meilleur pour la santé. Pourtant, c’est bien l’intention des personnes s’auto prescrivant un régime. Pour la sociologue Camille Adamiec, cela illustre une tendance de la société correspondant a «des règles alimentaires que se fixent eux-mêmes les mangeurs en quête de santé et de bien-être.» Avec parfois des dérives comportementales. «C’est l’extrême auquel aboutissent des personnes inondées d’informations sur les régimes et les dangers de l’alimentation», dénonce la psychanalyste spécialiste des troubles de l’alimentation Catherine Grangeard. «Impuissantes, déboussolées, elles craignent de tomber malades en mangeant.» Des médecins qualifient «d’orthorexie» ces pratiques obsessionnelles liées à l’alimentation et a la santé. Ou quand l’excès de règles anéantit tout plaisir de manger.
Le sucre : ami ou ennemi de notre santé ? Le fructose des fruits, le lactose du lait ou les sucres complexes des céréales et des légumineuses ne posent aucun problème. Les sucres incriminés sont ceux ajoutés aux aliments et aux boissons parle consommateur on par le fabricant comme conservateur ou exhausteur de goût. On en trouve partout sous forme de saccharose, de fructose, de sirop de glucose, même dans des aliments insoupçonnables comme les conserves de légumes. Outre des risques d’obésité et de caries, «l’excès de sucre est transformé en graisse par le foie, ce qui peut provoquer une forme de cirrhose non alcoolique, précise la biologiste Anne-Françoise Burnol. Des études chez l’animal montrent par ailleurs que le sucre crée une dépendance comparable à celle de la drogue.»
Pas de viande ni de gluten, mais des additifs.
Les rayons traiteur végétal des supermarchés multiplient les offres de steaks et nuggets à base de céréales ou de tofu. Mais ces aliments sont-ils vraiment meilleurs pour la santé ? Rien n’est moins sûr. Selon 60 Millions de consommateurs, certains steaks végétaux s’avèrent trop salés et remplis d’additifs. . . Même constat pour les produits sans gluten: ils ne sont pas plus sains que leur version classique.
Plusieurs études, notamment en Autriche et en Australie, ont montré qu’ils sont souvent plus pauvres en protéines, vitamines et minéraux que la gamme standard. De plus, nombre de ces spécialités entrent dans la catégorie des aliments «ultra-transformés », qui regroupe les produits transformés par l’industrie qui y ajoute des conservateurs, additifs, amidons modifiés. ..
Une étude NutriNet—Santé réalisée auprès de 105 000 personnes pendant huit ans a révélé qu’une « augmentation de 10 % de la proportion d’aliments ultra-transformés dans le régime alimentaire est associée à une hausse de plus de 10 % des risques de cancer », souligne Mathilde Touvier, de l’Inserm. Même si ces travaux parus en février restent à confirmer, autant limiter la consommation de ces produits.
SOURCE : Sciences et Avenir n°819 mai 2015
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